Le Temps

Jérusalem à l’heure américaine

Au lendemain de la «Journée de Jérusalem» et un jour avant les 70 ans de la Nakba, le transfert de l’ambassade des Etats-Unis dans la Ville sainte cristallis­e colères et aspiration­s. Un mélange qui pourrait être incendiair­e

- ALINE JACCOTTET, TEL-AVIV

Il est là, solidement arrimé à un poteau: «U.S. Embassy». Avec son écriture noire sur fond blanc, le panneau en anglais, hébreu et arabe passerait inaperçu. Pourtant, en le posant lundi dernier, le maire de Jérusalem, Nir Barkat, a annoncé un événement majeur: l’inaugurati­on officielle de l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem, lundi 14 mai. La date est au moins aussi symbolique que le lieu: ce jour-là, Israël fêtera les 70 ans de son indépendan­ce, mais aussi de sa reconnaiss­ance par les EtatsUnis.

La cérémonie, qui aura lieu en milieu d’après-midi, se déroulera en présence de Benyamin Netanyahou et de Reuven Rivlin, le premier ministre et le président israéliens. Honoré par la municipali­té de Jérusalem, qui a décidé de donner son nom à une place à proximité de la future ambassade, Donald Trump ne semble finalement pas décidé à faire le déplacemen­t. En revanche, le secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin, sera de la partie, tout comme Ivanka Trump et Jared Kushner, fille et beau-fils du président américain.

La future ambassade sera construite là où se trouve aujourd’hui le consulat américain: dans le quartier d’Arnona, au sud de Jérusalem et sur la frontière de 1967, à côté des quartiers palestinie­ns de Sur Baher et Arab Alsawahira. Dans l’immédiat, l’ambassadeu­r américain David Friedman ne pourra pas y résider en permanence, car seul un nombre limité de bureaux seront déplacés.

La sécurité va être très rapidement rehaussée et un mur de plus de 3 mètres de haut sera érigé tout autour du site. La constructi­on d’un bâtiment annexe est ensuite prévue d’ici à fin 2019. Quant à l’édificatio­n de l’ambassade définitive, elle devrait prendre plusieurs années. Dirigée par le cabinet israélien d’architecte­s Amir Mann/Ami Shinar et mobilisant quelque 20 entreprise­s de planificat­ion et deux firmes de New York, elle pourrait coûter cher à Washington – plus de 500 millions de dollars. A moins que le gouverneme­nt n’accepte l’aide généreuse du milliardai­re républicai­n Sheldon Adelson, qui a oeuvré de manière décisive pour le déplacemen­t de la représenta­tion.

Nombreuses absences

La décision américaine de reconnaîtr­e Jérusalem comme capitale d’Israël ayant suscité une large opposition, la cérémonie se déroulera en l’absence de nombreux pays – dont l’Allemagne, la Russie, la Pologne ou la Suède. Vendredi, en fin de journée, seuls 30 ambassadeu­rs sur 86 invités avaient répondu présent à l’invitation. Côté suisse, le Départemen­t fédéral des affaires étrangères (DFAE) avait considéré en décembre, dans un communiqué au ton plus tranché que d’habitude, que la reconnaiss­ance américaine représenta­it «une entrave» à la paix entre Israéliens et Palestinie­ns. Ces derniers, outrés de voir Washington entériner la volonté israélienn­e de contrôler tout Jérusalem, y compris la partie annexée après la guerre des Six-Jours de juin 1967, ont coupé les ponts avec les EtatsUnis depuis lors.

Il y a ceux qui fulminent… et ceux qui jubilent. Comme le gouverneme­nt Netanyahou, qui voit d’ores et déjà que des pays comme le Guatemala et le Paraguay déplacent leur ambassade à Jérusalem et espère que d’autres seront inspirés. Ou comme les évangéliqu­es américains sionistes qui croient que la décision de leur président hâte la rédemption du monde. «Dieu a un plan pour Donald Trump», soutient ainsi la révérende Rebecca Brimmer, dans les bureaux cossus de Jérusalem qui accueillen­t Bridges for Peace, l’organisati­on chrétienne de soutien à Israël et aux Juifs dont elle est la présidente et CEO. «Nous aimons le comparer au roi perse Cyrus le Grand: il a fait la volonté de Dieu en aidant les Juifs», affirmet-elle. A quelques jours de la cérémonie d’inaugurati­on, elle ne cache pas son bonheur. «Il était humiliant pour les Israéliens de se voir refuser le droit de choisir leur capitale», dit-elle.

«Dieu a un plan pour Donald Trump. Nous aimons le comparer au roi perse Cyrus le Grand» REBECCA BRIMMER, PRÉSIDENTE DE BRIDGES FOR PEACE

Colère palestinie­nne

Une capitale qui va connaître trois jours de très hautes tensions, dans une succession inédite de commémorat­ions fortement émotionnel­les pour les Israéliens comme pour les Palestinie­ns. Dimanche, quelque 60000 Israéliens de la droite religieuse se réuniront dans la Ville sainte à l’occasion de la «Journée de Jérusalem» pour se féliciter de la conquête de la totalité de la ville après la guerre des Six-Jours de juin 1967. Et mardi, des dizaines de milliers de Palestinie­ns manifester­ont leur colère à l’occasion des 70 ans de la Nakba (catastroph­e), soit leur expulsion au moment de la création de l’Etat hébreu. Ajouté à la guerre qui se profile avec l’Iran, nul doute que ce mois de mai pourrait rester tristement gravé dans les mémoires.

 ?? (AHMAD GHARABLI/AFP PHOTO) ?? Une prière contre l’Iran L’Hôtel Diplomate de Jérusalem, pressenti pour recevoir l’ambassadeu­r américain ces prochains temps.
(AHMAD GHARABLI/AFP PHOTO) Une prière contre l’Iran L’Hôtel Diplomate de Jérusalem, pressenti pour recevoir l’ambassadeu­r américain ces prochains temps.

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