En Malaisie, un tsunami anti-corruption
La victoire de l’ex-premier ministre Mahathir Mohamad a sanctionné avant tout la corruption de l’administration sortante. A commencer par le scandale 1MDB, dont les ramifications passent par la Suisse
L’avenir politique de la Malaisie se résume sans doute au pardon royal promis vendredi matin à Anwar Ibrahim, au lendemain de la victoire massive aux législatives de l’Alliance de l’espoir, une coalition de plusieurs partis réunis autour de l’ancien premier ministre nonagénaire Mahathir Mohamad.
Retournement d’alliance
Emprisonné de nouveau depuis 2015 pour crime de «sodomie», délit politiquement fabriqué et utilisé pour l’écarter de la course au pouvoir depuis 1999, l’ancien vice-premier ministre Anwar (1991-1998) s’est vu immédiatement promettre une grâce totale par l’actuel monarque de la fédération, le sultan Mohammed V. Ironie absolue: l’annonce de ce pardon a été faite par Mahathir lui-même, sitôt investi comme nouveau chef du gouvernement, alors qu’il fut à l’origine des premières poursuites pénales voilà près de trente ans contre celui qui était l’un de ses dauphins, jugé trop ambitieux et trop proche des islamistes.
Preuve d’un retournement complet d’alliance, le même Mahathir, 92 ans, a, dès sa nomination à la tête de ce pays de 31 millions d’habitants – qu’il gouverna d’une main de fer entre 1981 et 2003 –, nommé par intérim comme vice-premier ministre l’épouse d’Anwar Ibrahim, Wan Azizah Wan Ismail.
Manifestation de la colère populaire contre le premier ministre sortant Najib Razak et sa coalition Barisan Nasional (Front national), le scrutin remporté haut la main (121 sièges sur 222) par Mahathir n’est pas une franche alternance dans l’ex-colonie britannique d’Asie du Sud-Est. Il signe le retour de nombreux anciens cadres de l’UMNO, l’ex-parti dominant, que Mahathir a quitté avec éclat en 2016.
En tête des accusations portées contre le gouvernement sortant? Le scandale 1MDB (1 Malaysia Development Berhad), du nom du fonds souverain de développement malaisien, dans lequel le premier ministre sortant est accusé d’avoir puisé à satiété depuis 2009, et dont il aurait détourné près de 700 millions de dollars (lire ci-dessous). Dès son premier discours comme chef du gouvernement vendredi, Mahathir Mohamad a promis de relancer les investigations pour récupérer les fonds en Suisse, à Singapour et aux Etats-Unis.
Une autre affaire, beaucoup moins médiatisée, pèse sur l’administration sortante. Elle concerne la commande par la Malaisie, en juin 2002, de trois sous-marins au constructeur naval français DCNS (devenu Naval Group en juin 2017) pour 920 millions d’euros. Mahathir Mohamad était alors premier ministre et Najib Razak son ministre de la Défense. Lesdits sous-marins ont été livrés à la Malaisie et l’ancien président François Hollande s’était rendu dans le pays en visite officielle en mars 2017, dans l’espoir d’y vendre aussi des avions Rafale.
Problème: plus de 30 millions d’euros auraient été versés par DCNS à des intermédiaires proches du pouvoir. Plus grave encore: l’assassinat d’une interprète d’origine mongole, retrouvée morte en 2006, pourrait avoir été commandité par l’entourage de Najib Razak. La justice française s’est saisie de l’affaire en 2010. L’un des intermédiaires malais, Abdul Razak Baginda, a été inculpé en août 2017 en France pour des détournements de fonds.
Duplicité occidentale
A priori en route pour prendre progressivement les rênes du pays, Anwar Ibrahim avait parlé au Temps, en 2010, en marge d’un voyage à Bruxelles entre deux séjours en prison. Refusant l’étiquette «d’islamiste», il avait dénoncé devant nous «ceux qui par leur soif d’argent nourrissent les inégalités, les injustices et font le jeu des fondamentalistes». Il s’en était ensuite pris, lors d’une conférence à la London School of Economics, à la duplicité des gouvernements occidentaux «prêts à fermer les yeux lorsque les pays émergents mal gouvernés achètent leurs armes et que leurs dirigeants placent leur argent détourné dans leurs banques».
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