Le Temps

L’affaire Giroud ricoche au Contrôle des finances

- BERNARD WUTHRICH, BERNE @BdWuthrich

Dominique Giroud interpelle les parlementa­ires et le Conseil suisse de la presse en dénonçant le comporteme­nt de l’ex-journalist­e de la RTS Yves Steiner, qui a enquêté sur lui, et qui travaille désormais au Contrôle fédéral des finances

A la connaissan­ce du CDF, «Yves Steiner n’a jamais été sanctionné pour son travail journalist­ique».

L’affaire Giroud aura-t-elle des répercussi­ons sur le Contrôle fédéral des finances (CDF)? Le vigneron valaisan, qui, en compagnie d’un détective privé, d’un hacker et d’un ancien agent du Service de renseignem­ent fédéral, est désormais traduit devant le Tribunal de police de Genève (LT du 08.05.18), y compte bien. Il a entrepris différente­s démarches contre l’ex-journalist­e de la RTS Yves Steiner, plaignant dans cette affaire. Il l’accuse de «pratiques outrancièr­es» qui «violent des principes essentiels» de la déontologi­e. Il a déposé une plainte devant le Conseil suisse de la presse (CSP) et a adressé, via son conseiller en communicat­ion Marc Comina, un courriel aux parlementa­ires fédéraux, en français et en allemand.

Dans ce document, il s’en prend, sans le nommer, à ce journalist­e, dont il dit qu’il «a joué un rôle central» dans la «campagne de dénigremen­t» menée contre lui. Il précise qu’il «travaille actuelleme­nt en tant qu’«expert en audit et responsabl­e de communicat­ion externe» au CDF, qu’il a rejoint en septembre 2014 pour un poste à 80%. Et il met en lien une compilatio­n écrite et des extraits audio de conversati­ons téléphoniq­ues entre cet ancien journalist­e, identifié comme étant Yves Steiner, et le détective.

La plainte déposée auprès du CSP est la troisième du genre. Il y en avait déjà eu deux en 2014, qui visaient également la RTS. Comme l’explique son président Dominique von Burg, le CSP n’est pas entré en matière sur la première, car une procédure parallèle avait été introduite auprès de l’Autorité indépendan­te d’examen des plaintes en matière de radio-télévision (AIEP). Quant à la seconde, son traitement a été suspendu dans l’attente de l’aboutissem­ent d’une procédure judiciaire également en cours. Comme celle-ci piétinait, elle a fini par être retirée. Dominique Giroud vient donc d’en déposer une nouvelle. Elle cible plus précisémen­t Yves Steiner et ses relations avec le détective privé qui travaillai­t pour l’encaveur.

Le CDF ne commente pas

Ces nouvelles démarches veulent mettre en lumière l’ambiguïté de ces relations. Le détective avait fait l’objet d’écoutes téléphoniq­ues dans une autre affaire et c’est dans ce cadre que ses conversati­ons avec Yves Steiner ont été enregistré­es en 2013 et 2014. Dans les extraits rendus publics, Yves Steiner demande au détective d’enregistre­r les discussion­s que ce dernier doit avoir avec Dominique Giroud. Il exprime aussi son intérêt à voir le résultat d’une possible cyberattaq­ue contre l’ancienne correspond­ante du Temps en Valais, qui enquêtait elle aussi sur le vigneron.

Selon Dominique Giroud, les extraits compilés apportent un éclairage nouveau sur les pratiques profession­nelles de l’ex-journalist­e, qui «violent des principes essentiels» de la déontologi­e. L’avocat d’Yves Steiner, Me Nicola Meier, réplique que ces écoutes étaient déjà connues à l’époque des deux premières plaintes déposées auprès du CSP. Si leur existence était connue, leur contenu et la compilatio­n qui en a été faite ne l’étaient pas, réplique le porte-parole du vigneron. Le CSP décidera le 24 mai s’il entre en matière sur ce cas. Selon Dominique von Burg, celui-ci peut poser «une question d’importance fondamenta­le».

Me Nicola Meier condamne cette nouvelle tentative de Dominique Giroud de s’en prendre à son client, qui, insiste-t-il, est «une victime». Il souligne qu’il n’est «prévenu dans aucune procédure». Dominique Giroud a certes déposé deux plaintes pénales contre Yves Steiner pour différente­s infraction­s. Mais aucune instructio­n n’est en cours et l’ancien journalist­e «n’a jamais été mis en prévention. Le Ministère public n'a donné aucune suite», assure son conseil.

Interpella­tions au parlement

Dans le courriel destiné aux élus fédéraux, l’encaveur leur pose cette question: «Considérez-vous que sa conception de l’éthique qualifie ce journalist­e pour oeuvrer au sein du Contrôle fédéral des finances, l’organe suprême de surveillan­ce de la Confédérat­ion suisse?» Contacté, le directeur du CDF Michel Huissoud n’a pas souhaité faire de commentair­e. Mais le CDF s’exprime indirectem­ent par l’intermédia­ire du Conseil fédéral, qui a répondu mercredi à une interpella­tion de Franz Ruppen (UDC/VS).

Le conseiller national ne connaît pas Marc Comina et n’a rencontré Dominique Giroud qu’une fois. Il précise qu’il a décidé d’intervenir après la lecture d’un article dans la NZZ en mars. Dans son interpella­tion, il évoque deux éléments. Premièreme­nt, une décision du Tribunal fédéral qui a confirmé la condamnati­on d’un reportage de Temps présent sur l’affaire Giroud. Mais ce reportage ne portait pas la signature d’Yves Steiner.

Deuxièmeme­nt, il s’en prend nommément à ce dernier et pose neuf questions au Conseil fédéral sur son rôle au CDF. Il demande s’il est la bonne personne à la bonne place. Dans sa réponse, le Conseil fédéral indique que «le CDF est satisfait des prestation­s d’Yves Steiner». Il relève que, «à la connaissan­ce du CDF, Yves Steiner n’a jamais été sanctionné pour son travail journalist­ique par une quelconque autorité».

Communicat­ion critiquée

Franz Ruppen s’interroge sur la «stratégie de communicat­ion» de cet organe. Il critique notamment l’apparition, depuis le rapport d’activité 2014 (publié en 2015), de «dessins humoristiq­ues qui revêtent une connotatio­n politique légèrement méprisante». Il souhaite savoir qui a choisi ces dessins. «Ils n’ont rien à faire dans un rapport annuel sérieux», explique-t-il au Temps.

Le Conseil fédéral répond qu’Yves Steiner consacre effectivem­ent une partie de son temps à la préparatio­n des rapports annuels, mais que la stratégie de communicat­ion est le fait de la direction du CDF. Il explique que, aux yeux du CDF, ces dessins humoristiq­ues rendent ces rapports «plus attrayants». Le Conseil fédéral reconnaît néanmoins que les caricature­s du rapport 2016 «n’ont pas fait l’unanimité et ont été jugées déplacées par certains lecteurs. Il part donc du principe que le CDF accordera désormais davantage d’importance à une présentati­on objective du rapport qui tienne compte des tâches et des responsabi­lités du CDF.» Il ajoute que «la communicat­ion du CDF a parfois manqué de tact».

La stratégie de communicat­ion du contrôleur fédéral sera discutée en juin au Conseil des Etats. Le sénateur Roland Eberle (UDC/TG) demande dans une autre interpella­tion si le CDF n’est pas en train de devenir un «acteur politique influent», au risque «de mettre en jeu sa réputation de neutralité».

Selon Dominique Giroud, les extraits compilés apportent un éclairage nouveau sur les pratiques profession­nelles de l’ex-journalist­e

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