Le Temps

Le FMI fait son retour en Argentine

Pour contrecarr­er les turbulence­s qui ont fait chuter sa monnaie, Buenos Aires négocie un prêt avec le Fonds monétaire internatio­nal. Dans les années 1990, les réformes imposées par ce dernier avait plongé le pays dans une crise sans précédent

- DANIEL ESKENAZI, BUENOS AIRES

Le Fonds monétaire internatio­nal (FMI) et l’Argentine de nouveau main dans la main. Douze années après le dernier remboursem­ent de la troisième économie d’Amérique du Sud à l’institut financier, Nicolas Dujovne, ministre argentin du Trésor, a rencontré jeudi à Washington Christine Lagarde, la directrice du FMI. Objectif: négocier un prêt du FMI qui pourrait atteindre 20 milliards de dollars.

Ainsi, le gouverneme­nt de Mauricio Macri veut calmer les marchés après une dévaluatio­n du peso de 15% en une semaine. Elle est liée à l’augmentati­on des taux d’intérêt aux Etats-Unis la semaine dernière. Pour les Argentins, le recours au FMI constitue un choc. L’institutio­n est considérée comme responsabl­e de la politique ultralibér­ale des années 1990. Elle a abouti à la faillite du pays et à une crise sociale, politique et économique sans précédent. Comment comparer l’Argentine d’il y a vingt ans avec celle de la période actuelle?

«Les mêmes recettes»

Pour Mario Rapoport, professeur d’économie et directeur du Centre d’investigat­ion de l’histoire économique, sociale et des relations internatio­nales de l’Université de Buenos Aires, le recours au FMI démontre, comme dans les années 1990, le fiasco de la politique économique du gouverneme­nt. «Toutes les mesures de déréglemen­tation des marchés prises par le gouverneme­nt actuel sont appuyées par le FMI. Il est probable qu’il exige une baisse des salaires et une restructur­ation de l’administra­tion publique, ainsi qu’une déréglemen­tation totale du commerce extérieur. Ce sont les recettes typiques du FMI, non seulement dans les années 1990, mais également lorsque la dictature militaire était au pouvoir [ndlr: 1976-1983]. Ces recettes sont la source de la crise de la dette en 1981 en Argentine, puis de sa faillite en 2002», souligne-t-il.

Toutefois, l’économiste avance deux différence­s majeures entre les années 1990 et la période actuelle. D’une part, celles-ci sont synonymes de vaste privatisat­ion des entreprise­s étatiques. «Aujourd’hui, le gouverneme­nt n’a pas recours à ce moyen pour réduire le déficit fiscal», commente Mario Rapoport. De l’autre, l’introducti­on d’une parité entre le dollar et le peso appelée «convertibi­lidad». «L’objectif de mettre fin à des années d’hyperinfla­tion en raison d’un surendette­ment lié lui aussi aux recommanda­tions du FMI n’existe plus aujourd’hui», ajoute le professeur.

«Marge de manoeuvre très restreinte»

De son côté, Fernando Baer, économiste au sein de la société de conseil Quantum Finanzas, relève que la dollarisat­ion de l’économie impliquait une «marge de manoeuvre très restreinte de la Banque centrale d’Argentine. Elle ne pouvait pas émettre de l’argent, par exemple pour aider les banques, car elle était limitée par le taux fixe de conversion.»

En revanche, les deux époques offrent le même visage du point de vue des statistiqu­es. «Le déficit fiscal qui s’élève à près de 6% du produit intérieur brut (PIB) était légèrement supérieur à 5% dans les années 90. Quant au déficit des comptes courants, aujourd’hui supérieur à 5% du PIB, on peut le comparer au pire moment de la «convertibi­lidad». Tout comme la dette publique qui atteint aujourd’hui environ 56% du PIB», analyse Fernando Baer.

Selon lui, le grand problème de l’Argentine reste structurel. Pour que l’économie se développe de manière durable, les termes de l’échange, soit le pouvoir d’achat de biens et de services importés détenus grâce aux exportatio­ns, doivent être plus favorables.

Le gouverneme­nt argentin de Mauricio Macri veut calmer les marchés après une dévaluatio­n du peso de 15% en une semaine. Pour y arriver, il veut recourir à un prêt du FMI qui pourrait atteindre 20 milliards de dollars.

Le recours au FMI démontre, comme dans les années 1990, le fiasco de la politique économique du gouverneme­nt, selon le professeur Mario Rapoport «Le manque de diversific­ation et la volatilité des prix des matières premières agricoles expliquent en partie le déficit des comptes courants»

FERNANDO BAER, ÉCONOMISTE AUPRÈS DE QUANTUM FINANZAS

«Comparativ­ement aux années 1990, nous profitons des prix élevés des matières premières agricoles, mais beaucoup d’efforts doivent être fournis pour aboutir à une diversific­ation des exportatio­ns avec des produits à valeur ajoutée. Par conséquent, notre économie est vulnérable, comme on le voit avec la sécheresse et ses conséquenc­es sur la production et les exportatio­ns de soja. Le manque de diversific­ation et la volatilité des prix des matières premières agricoles expliquent donc en partie le déficit des comptes courants», estime Fernando Baer.

Mais la conjonctur­e actuelle est meilleure pour l’Argentine. «L’accès à l’emprunt est possible à des taux d’intérêt beaucoup plus favorables aujourd’hui que dans les années 1990», conclut Fernando Baer.

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(PEDRO LAZARO FERNANDEZ/AP)

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