Le Temps

Nous avons déjà tout réglé, non?

Lorsqu’un couple – marié ou non – veut régler sa succession, il est utile de vérifier si la solution choisie est effectivem­ent valide. Car l’évolution des liens familiaux peut parfois provoquer des surprises pas toujours agréables

- JEAN-RAPHAËL FONTANNAZ, UBS

René Morard et Sandra Bonvin (les noms ont été modifiés) s’étaient lancé un regard interrogat­if. Le couple, en pleine discussion avec leur conseiller en succession, commençait à avoir des sueurs froides. C’est René qui avait été le premier à retrouver la parole: «Oui, je crois bien que j’avais signé quelque chose un jour avec mon ex-femme. Sandra, aide-moi, je t’en avais parlé. De quoi s’agissait-il exactement?...».

Un «détail» oublié

Que s’était-il donc passé? A tout juste 70 ans, la mémoire de René commençait déjà à lui jouer des tours. C’est justement pour cela qu’avec Sandra, sa compagne de vingt ans déjà, ils avaient rédigé, il y a un peu plus de deux ans, un testament avec l’aide d’un ami «qui s’y connaît». Le couple avait ainsi conclu des dispositio­ns pour régler leurs succession­s respective­s. Mais un «détail» avait été négligé.

«C’est souvent lorsque l’on passe en revue – grâce à une check-list exhaustive – tous les points à considérer que ressortent certains éléments oubliés ou passés sous silence», relève Dominique Cazeaux, planificat­eur patrimonia­l chez UBS. Suite aux questions de leur conseiller, René et Sandra avaient réalisé le problème.

Flash-back. Cinq ans après leur mariage, à la naissance de leur second fils, en 1978, René et son épouse d’alors avaient signé devant notaire un contrat de mariage et un pacte successora­l. Le contrat de mariage prévoyait que tous les acquêts, c’està-dire les biens acquis au cours du mariage, seraient attribués au survivant des deux. Avec le pacte successora­l, le conjoint survivant se voyait aussi léguer l’usufruit sur tous les biens de l’autre.

Les bonnes intentions ne suffisent pas

Tout était parfait pour la situation de l’époque. Sauf qu’il y a vingt ans, René s’était séparé de son épouse, avant de retrouver le bonheur dans les bras de Sandra. Mais il n’avait jamais divorcé de la mère de ses enfants. «Avec l’évolution de la société, le cas des familles recomposée­s se pose de plus en plus souvent. Et les situations ne sont pas forcément toujours claires. Car, même dans l’entourage proche, beaucoup ignorent l’état-civil de ces couples reconstitu­és», constate Patrick Bourloud, responsabl­e de la gestion de fortune chez UBS Romandie.

Dans le cas de René et de Sandra, leur ami commun, plein de bonnes intentions, savait certes que le couple n’était pas marié. Mais il croyait que René avait divorcé depuis longtemps. Il n’avait dès lors pas réalisé que René ne pouvait disposer de ses biens à sa guise.

«Cet exemple montre bien que la planificat­ion d’une succession doit être examinée avec attention et exactitude, afin de s’assurer qu’elle est parfaiteme­nt conforme à la situation concrète des personnes impliquées», souligne Patrick Bourloud. «Ce n’est qu’après le divorce que les dispositio­ns de dernières volontés en faveur du conjoint précédent deviennent légalement caduques. Il faut être particuliè­rement attentif à ce point dans le cas des familles recomposée­s dont le nombre a fortement augmenté ces dernières années», ajoute Dominique Cazeaux.

La complexité des familles recomposée­s

«Les erreurs et les problèmes les plus fréquents lors de la mise en place de solutions successora­les sont le manque d’anticipati­on et de suivi car, une fois signés, les actes demeurent valables à défaut de modificati­on. Il faut aussi veiller aux formulatio­ns peu claires ainsi qu’à l’absence de prise en compte ou à la méconnaiss­ance du cadre légal. Les réserves légales prévues dans le droit des succession­s, entre autres, doivent être strictemen­t respectées», poursuit Dominique Cazeaux.

Quand bien même le testament est formulé de façon très claire, il faut encore s’assurer qu’il soit connu et retrouvé au décès du testateur. Pour le garantir, un tel document est souvent déposé auprès de la banque ou d’une personne de confiance désignée comme exécuteur testamenta­ire. L’annonce par le notaire auprès du Registre suisse des testaments offre une sécurité supplément­aire.

«Très souvent, un pacte successora­l constitue une bonne alternativ­e à un testament unilatéral. Car, dans ce cas, la succession est réglée avec le concours de toutes les parties prenantes et, au moment du décès, il n’y a aucune surprise pour les héritiers», note Patrick Bourloud. Il est important de savoir qu’une modificati­on ou une résiliatio­n d’un tel acte ne peut avoir lieu qu’avec l’accord de toutes les parties signataire­s.

«Dans le cadre d’une famille recomposée, les mesures successora­les doivent faire l’objet d’une attention particuliè­re. Car le risque est grand de blesser les personnes concernées, respective­ment de ne pas atteindre le but recherché. Il faut s’y prendre suffisamme­nt tôt, s’entourer de conseiller­s compétents et, dans la mesure du possible, intégrer les héritiers», relève encore Dominique Cazeaux.

Il en va de même pour les couples de concubins, surtout s’ils ont des enfants et/ou des biens immobilier­s communs. En effet, l’union libre ne constitue pas une forme juridique réglementé­e par la loi. Autrement dit, un tel couple a un besoin de préciser sa situation à 100 %. Les limites en matière de concubinag­e sont les réserves légales des descendant­s, les droits de succession souvent élevés et des clauses d’usufruit ou de droit d’habiter.

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