Cinéma contre séries TV, la vieille querelle
◗ On essaie de bien vieillir, de s’apaiser, de se calmer à propos de polémiques devenues futiles, de devenir serein. Et voici qu’un cuistre met à bas notre zénitude difficilement acquise. Cette semaine, ce fut Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes, qui a lancé en conférence de presse: «Les séries, c’est industriel. Les films, c’est de la poésie.» Au Figaro, il a dit pire encore: «Game of Thrones, tout le monde en parle mais personne n’est capable de citer le moindre réalisateur.» Ce qui montre à quel point Thierry Frémaux n’a rien compris aux séries, un genre littéraire dans lequel dominent les auteurs.
Flambée sur les réseaux. Urbain mais retors, mon collègue Stéphane Gobbo a commenté avec un sens bien helvétique du compromis, écrivant: «Lorsque Frémaux use de l’adjectif «industriel», il est maladroit; mais lorsqu’il parle de «poésie», il a raison.»
Pas faux, mais la question se situe un peu ailleurs. Il faut s’interroger sur l’agressivité du patron du plus grand festival de cinéma du monde – lequel a par ailleurs montré Twin Peaks et Top of the Lake, de ses amis David Lynch et Jane Campion.
Pourquoi déverser ainsi son fiel de pellicule sur les séries? A cause de la polémique avec Netflix? Ce serait exagéré. Même le patron du site de streaming fait des gestes envers le Festival. De la part des amateurs de séries, pérorer sur le choc d’un vieux monde (Cannes) contre le nouveau (Netflix) serait peu avisé. Parfois, Netflix luimême se comporte comme une vieille dame suintant la naphtaline. Songeons précisément à sa misérable offre en matière de cinéma.
Thierry Frémaux remue la mâchoire en tous sens, sans bien attaquer la proie qu’il rêve de déchiqueter, peut-être par énervement face la montée en puissance d’un genre. Il a le poids majestueux de l’histoire culturelle qu’il porte, mais il se situe irréductiblement à côté du sujet.
Il s’est trouvé des scénaristes pour dire que, dans le système hollywoodien, les séries ont mis en oeuvre la politique des auteurs. Le créateur y est central, pouvant dialoguer d’égal à égal avec l’industrie. En cette année anniversaire de 1968, voilà qui pourrait parler à Thierry Frémaux. S’il voulait écouter. ■