DOMINIQUE A EN MODE DIPTYQUE
La noirceur punk du premier album est contrebalancée par les lumières tamisées du second
Le chanteur français, en concert le 17 mai à Lausanne, publie «Toute latitude», qui sera suivi cet automne de «La fragilité». Histoire de marquer au fer rouge l’année de ses 50 ans
◗ Il avait déjà fait le coup du diptyque avec La
musique/La matière. Mais c’était en une seule salve, voilà neuf ans. Avec Toute latitude et son négatif à venir à l’automne, La fragilité, Dominique A s’offre un retour prolifique sur le devant de la scène. Histoire sans doute de marquer au fer rouge l’année de ses 50 ans, et qui a déjà vécu un premier climax, fin avril, avec une carte blanche offerte par la Philharmonie de Paris sur un week-end. «C’était intense. Le souvenir restera fort, admet-il. J’ai vécu ce weekend comme un point d’orgue, un tapis rouge qui fédérait aussi toutes les choses sur lesquelles je travaille. Il y avait beaucoup d’enjeux personnels. C’est un moment où mes deux projets discographiques de 2018, l’un électrique et l’autre acoustique, se rejoignaient enfin. C’était la première fois que j’allais me produire en acoustique guitare-voix, dans la pure épure, sans l’auto-sampling, les boucles sur lesquelles je me reposais habituellement. C’était enfin envisageable pour moi car je sens que j’ai un répertoire assez vaste au bout de 10 albums.»
POINTS DE CONVERGENCE
Le nouveau cycle qu’entame le chanteur français, qui fut l’un des rénovateurs du paysage chanson-rock francophone avec La fossette (1992), aux côtés de Murat ou de Miossec, aurait même pu être quadruple. «J’étais d’abord dans une dynamique de quatre albums, un par saison, avec un rapport ludique à chaque sortie. Mais on s’est dit avec ma maison de disques que le premier disque du retour allait forcément sacrifier les trois suivants», détaille Dominique A au téléphone.
La dynamique des deux albums ne lui paraît «pas si dingue. C’était lié à la nécessité pour moi de ne surtout pas rejouer dans un premier temps dans des salles assises de théâtre. Il fallait donc que je débute avec un versant moins feutré, différent de mon précédent disque Eléor (2015). Et que ce soit rock, électrique, que ça barde, en un mot! Raison pour laquelle aussi Toute latitude me voit me laisser aller à mes penchants gothiques, qu’il dégage une certaine noirceur post-punk sans doute. Ce côté sombre sera contrebalancé par les lumières plus tamisées et claires de La fragilité, où les mélodies sont plus intimistes et célèbrent les beautés environnantes. Ces deux faces s’envisagent clairement comme un diptyque avec des points de convergence où les chansons se répondent.»
BESOIN DE RURALITÉ
Pour l’heure, Toute latitude s’articule autour d’une boîte à rythmes analogique et entremêle habilement rock et électronique sur 12 titres, dont les trois derniers se déclinent sur un mode parlé-chanté inhabituel. «J’ai creusé cette piste par le biais surtout de
Corps de ferme à l’abandon, un texte auquel je tenais et qui ne pouvait pas être chanté. J’ai tourné autour un moment avant que s’imposent deux boucles pour le morceau. Puis sont venues se greffer des chansons comme Le reflet et Se décentrer, qui est à la limite du chant, qui s’y prêtaient bien aussi. J’ai logiquement fini par les regrouper en fin d’album, comme si c’en était la troisième séquence.»
Les autres séquences se révèlent plus classiques, hormis l’hypnotique et tendu Les deux côtés d’une
ombre, qui est lui aussi décliné dans un style parlé-chanté. On y retrouve ces contrastes entre le chant fluide et clair, parfois en suspension de Domivécu, nique A, et une électricité rock plus brute et sombre avec force effets et recours à deux batteries qui insufflent une énergie up-tempo au répertoire. Les textes se font aussi moins sibyllins, avec une forte résonance du thème de la périphérie: «Ce sont des terrains qui sont peu abordés en chanson. C’est une volonté et je connais bien la campagne éloignée de Nantes. La campagne sera encore plus prégnante dans le deuxième disque. Ça correspond peut-être aussi à une tendance en littérature et en cinéma ces derniers temps de parler de la campagne, de la ruralité, à un besoin de parler de zones et territoires vastes où on a l’impression que l’on se sait plus trop comment vivent les gens et surtout ce qu’ils ressentent. Il y a des points de friction intéressants à dégager et à mettre en musique entre l’immuabilité et les changements.»
Des zones délaissées que Dominique A avait déjà fréquentées, sous la forme d’une réminiscence plus personnelle, sur des morceaux comme Close West dans Vers les lueurs ou La fin d’un monde sur La musique. Ailleurs, le chanteur jette le trouble avec La
mort d’un oiseau, où il raconte fidèlement ce qu’il a la «vulnérabilité ressentie» devant le spectacle hantant d’un volatile à l’agonie. Ou chante l’implacable Aujourd’hui n’existe plus, chronique d’une impasse existentielle douloureuse. Autant d’humeurs maussades, renforcées par le sans équivoque Lorsque
nous vivions ensemble et le trompeur La clairière, heureusement équilibrés par les plus lumineux Toute
latitude, Enfants de la plage et Le reflet. Un ultime titre où domine l’acoustique plus chaleureuse qui devrait présider la suite des aventures discographiques de Dominique A en fin d’année. ▅