Le Temps

Les choix paresseux des festivals suisses

- VIRGINIE NUSSBAUM t @Virginie_Nb

Les responsabl­es de festivals ont une carte à jouer, voire même le devoir d’inverser la vapeur

La saison des festivals en plein air commence et, avec elle, son lot de contrariét­és: les râleurs qui conspuent telle programmat­ion, les dilemmes face à l’abondance de l’offre, la difficulté de trouver des billets… et des musicienne­s, aussi.

Cette année encore, elles se font en effet discrètes sur les affiches des grands rendez-vous de l’été. Moins de femmes que d’hommes sur les scènes, le phénomène n’est pas nouveau, mais il n’avait jusqu’ici suscité que peu de commentair­es. C’était compter sans l’ouragan #MeToo. En février dernier, 45 festivals signaient ainsi l’initiative Keychange, s’engageant à atteindre la parité hommes-femmes, sur scène comme dans les coulisses, d’ici à 2022.

Depuis, la liste des signataire­s a doublé. Mais les plus grands rendez-vous manquent encore à l’appel. Tout comme les festivals suisses, qui semblent faire la sourde oreille. Certes, le Cully Jazz proposait, le mois dernier, une affiche et des ateliers faisant la part belle aux femmes. Mais ces efforts sont encore insuffisan­ts. En témoigne ce simple calcul: au festival de Montreux, sur les 112 concerts annoncés de la programmat­ion payante, 79 groupes ne comptent pas de femmes (ou alors des choristes ponctuelle­s) dans leurs formations. Au Caribana, la proportion est de 13 sur 49, et au Paléo, on trouve un rapport de 29 sur 95. A Nyon, on retrouvera Vianney, invité pour la troisième fois consécutiv­e. Un choix paresseux alors même que le vivier de talents féminins semble plus vaste que jamais.

La faute aux contrainte­s des dates de tournées et aux obligation­s de remplissag­e, avancent certains programmat­eurs en soulignant que les plus grandes stars sont majoritair­ement masculines. Tout le monde s’accorde en tout cas sur le fait que les femmes sont moins nombreuses que leurs homologues masculins, notamment dans les domaines du rock et de l’électro. C’est vrai: dominée par les hommes, qui en occupent les postes clés, l’industrie musicale a encore trop tendance à paver la voie aux artistes masculins, là où les femmes doivent donner bien plus de voix pour être seulement prises en considérat­ion.

C’est là que les responsabl­es de festivals ont une carte à jouer, voire même le devoir d’inverser la vapeur. Car ces grands rassemblem­ents estivaux sont loin d’être anodins: ils représente­nt, pour les musicienne­s en devenir, un espace de visibilité, un tremplin pour lancer une carrière, toucher de nouveaux publics, réseauter. En pariant davantage sur les femmes, quitte à prendre des risques, les festivals donneraien­t un signal clair. Mais ils ne sont finalement que le dernier maillon d’une longue chaîne, la partie visible de l’iceberg. C’est à tous les échelons de l’industrie musicale qu’une réflexion doit être menée.

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