Les choix paresseux des festivals suisses
Les responsables de festivals ont une carte à jouer, voire même le devoir d’inverser la vapeur
La saison des festivals en plein air commence et, avec elle, son lot de contrariétés: les râleurs qui conspuent telle programmation, les dilemmes face à l’abondance de l’offre, la difficulté de trouver des billets… et des musiciennes, aussi.
Cette année encore, elles se font en effet discrètes sur les affiches des grands rendez-vous de l’été. Moins de femmes que d’hommes sur les scènes, le phénomène n’est pas nouveau, mais il n’avait jusqu’ici suscité que peu de commentaires. C’était compter sans l’ouragan #MeToo. En février dernier, 45 festivals signaient ainsi l’initiative Keychange, s’engageant à atteindre la parité hommes-femmes, sur scène comme dans les coulisses, d’ici à 2022.
Depuis, la liste des signataires a doublé. Mais les plus grands rendez-vous manquent encore à l’appel. Tout comme les festivals suisses, qui semblent faire la sourde oreille. Certes, le Cully Jazz proposait, le mois dernier, une affiche et des ateliers faisant la part belle aux femmes. Mais ces efforts sont encore insuffisants. En témoigne ce simple calcul: au festival de Montreux, sur les 112 concerts annoncés de la programmation payante, 79 groupes ne comptent pas de femmes (ou alors des choristes ponctuelles) dans leurs formations. Au Caribana, la proportion est de 13 sur 49, et au Paléo, on trouve un rapport de 29 sur 95. A Nyon, on retrouvera Vianney, invité pour la troisième fois consécutive. Un choix paresseux alors même que le vivier de talents féminins semble plus vaste que jamais.
La faute aux contraintes des dates de tournées et aux obligations de remplissage, avancent certains programmateurs en soulignant que les plus grandes stars sont majoritairement masculines. Tout le monde s’accorde en tout cas sur le fait que les femmes sont moins nombreuses que leurs homologues masculins, notamment dans les domaines du rock et de l’électro. C’est vrai: dominée par les hommes, qui en occupent les postes clés, l’industrie musicale a encore trop tendance à paver la voie aux artistes masculins, là où les femmes doivent donner bien plus de voix pour être seulement prises en considération.
C’est là que les responsables de festivals ont une carte à jouer, voire même le devoir d’inverser la vapeur. Car ces grands rassemblements estivaux sont loin d’être anodins: ils représentent, pour les musiciennes en devenir, un espace de visibilité, un tremplin pour lancer une carrière, toucher de nouveaux publics, réseauter. En pariant davantage sur les femmes, quitte à prendre des risques, les festivals donneraient un signal clair. Mais ils ne sont finalement que le dernier maillon d’une longue chaîne, la partie visible de l’iceberg. C’est à tous les échelons de l’industrie musicale qu’une réflexion doit être menée.