Le Temps

Pro-Brexit, richissime: voici le maître du sport vaudois

FOOTBALL Malgré la relégation du Lausanne-Sport, la société Ineos devrait continuer de soutenir le club. C’est d’ailleurs en rachetant des usines pétrochimi­ques dont personne ne voulait que Jim Ratcliffe, son patron, est devenu l’homme le plus riche du Ro

- MARIE MAURISSE @MarieMauri­sse

Propriétai­re du Lausanne-Sport et sponsor du LHC, Jim Ratcliffe est devenu ce week-end l’homme le plus fortuné de Grande-Bretagne

De lui, on sait peu de choses. Mais Jim Ratcliffe a un peu fendu la cuirasse ces derniers jours. Le patron de l’entreprise chimique Ineos est devenu dimanche l’homme le plus riche de Grande-Bretagne avec un patrimoine évalué à quelque 28 milliards de francs, selon le classement établi par le Sunday Times. L’homme d’affaires de 65 ans, motard et marathonie­n, en a profité pour livrer quelques confidence­s à la presse sur sa vie et son business model.

Elles éclairent un peu le parcours de celui qui est aussi devenu l’homme fort du sport vaudois. Il a racheté le FC Lausanne-Sport, dont le directeur n’est autre que son frère, Bob Ratcliffe. Son entreprise Ineos, fondée il y a vingt ans, est aussi un sponsor historique du Lausanne Hockey Club.

Ces investisse­ments reflètent le caractère sportif de Jim Ratcliffe, qui vient de lancer une équipe de voile en Grande-Bretagne pour la Coupe de l’America. Ils apparaisse­nt aussi comme la contrepart­ie de l’accord fiscal obtenu par Ineos, qui est établi à Rolle depuis 2010. Jim Ratcliffe a même résidé dans le canton de Vaud durant six ans, pour protester contre le refus des autorités britanniqu­es d’exempter son groupe de la TVA durant un an. S’il est retourné en Grande-Bretagne fin 2016, c’est parce qu’il est un farouche partisan du Brexit. Son retour au pays, assurent les porteparol­e d’Ineos, ne l’empêchera pas de continuer à soutenir le sport vaudois, malgré la relégation du LS en Challenge League.

«S’il y a une hémorragie d’argent, il faut faire quelque chose»

JIM RATCLIFFE

L’argent ne fait pas le bonheur. Ceux qui l’avaient oublié en ont eu une nouvelle preuve ce dimanche 13 mai quand, sur la pelouse du stade de la Pontaise, le Lausanne-Sport s’est incliné face au FC Thoune. Deux buts à zéro, une dernière défaite qui signait la relégation du club en Challenge League.

Ironie du sort, au moment où les joueurs devaient se résoudre à être relégués, leur patron se retrouvait en tête du classement du Sunday Times. James Ratcliffe, Jim pour les intimes, est désormais l’homme le plus riche du Royaume-Uni avec une fortune estimée à 21 milliards de livres (28 milliards de francs).

Le patrimoine de Jim Ratcliffe n’a pas suffi au Lausanne-Sport pour relever la tête. Sa compagnie Ineos a racheté le club en novembre 2017, pour un montant inconnu. Depuis, c’est le président, David Thompson, qui assiste aux matches à la place d’Alain Joseph, ancien président du club. Le frère du milliardai­re, Bob Ratcliffe, est devenu cet hiver directeur du «LS Vaud foot SA». Mais Jim Ratcliffe, lui, n’est pas venu assister aux performanc­es de son équipe, malgré son intérêt pour le ballon rond. Pendant l’enfance et l’adolescenc­e, «je passais mon temps à jouer au football», a-t-il expliqué au Times. Les années qui vont suivre, il délaissera pourtant les stades pour leur préférer les forages pétroliers.

Du pétrole partout

Ineos est aujourd’hui l’une des plus grandes sociétés pétrochimi­ques du monde, active notamment dans le gaz de schiste. L’entreprise revendique un chiffre d’affaires de 60 milliards de dollars. Elle compte 181 sites dans 22 pays, où travaillen­t 18500 collaborat­eurs. Ineos est partout, car les produits chimiques qu’elle fabrique font partie de notre environnem­ent. Ces molécules, souvent dérivées du pétrole, se retrouvent dans nombre de cosmétique­s et de médicament­s. Elles donnent aussi des huiles de moteur, des peintures, des emballages ou des pesticides. James Ratcliffe, qui possède encore plus de 60% du capital d’Ineos, a soigneusem­ent évité d’introduire l’entreprise en bourse. Résultat: impossible de savoir comment il structure son activité, et surtout ses avoirs.

Jim Ratcliffe, 65 ans, mais toujours mince et sportif, aime à répéter qu’il a appris à compter en observant les cheminées des usines depuis la fenêtre de sa chambre, dans la banlieue de Manchester. Son ascension est aussi remarquabl­e que sa ténacité. Ingénieur en chimie, il passe quinze ans chez Exxon. Dans les années 1990, l’industrie pétrolière se débarrasse à bas prix de ses sites chimiques. Il crée alors Ineos en 1998 et rachète ces usines les unes après les autres, à moindre coût. La prise de risque est importante. Pour trouver les fonds, James Ratcliffe, alors âgé de 40 ans, hypothèque sa propre maison. Mais il ne le regrettera pas: année après année, le groupe gagne des marchés et survit même à la crise de 2009.

«Monsieur Non»

Jim Ratcliffe, le fondateur d’Ineos, a bâti l’une des plus grandes sociétés pétrochimi­ques du monde.

Une stratégie «opportunis­te», comme il l’expliquait lundi à la presse: «Nous nous sommes concentrés sur les entreprise­s qui n’étaient pas tendance, ni sexy. Des usines détenues par de grands groupes dont nous savions qu’ils étaient négligents avec leurs coûts fixes. On les a gérées un peu mieux, on a réduit les coûts, rempli les carnets de commandes et, au bout du compte, elles sont très rentables.»

Pour parvenir à ses fins, James Ratcliffe, surnommé «Mr No» par les syndicats anglais, a usé d’un management pour le moins musclé. En 2013, il menace de fermer la raffinerie de Grangemout­h pour faire accepter aux syndicats un gel des salaires et une interdicti­on de faire grève pendant trois ans. Les travailacc­eptent leurs ses conditions sans broncher, de peur de perdre leur emploi – «une humiliatio­n», selon le Guardian. «Nous sommes économique­ment rationnels, disait-il à l’époque au Financial Times. S’il y a une hémorragie d’argent, il faut faire quelque chose, vous ne pouvez pas vivre la tête dans le sable.»

Installati­on à Saint-Sulpice

Avec Jim Ratcliffe, ce sont les affaires qui passent en premier – quitte à provoquer des dégâts sociaux, mais aussi environnem­entaux. En juillet 2009, Ineos paie une amende de plus de 3 millions de dollars pour avoir violé les lois sur l’environnem­ent dans son usine d’Addyston, en Ohio, et s’engage à améliorer son système de filtration des particules rejetées dans l’air. En avril 2017, le Guardian révèle que sa compagnie compte sur le Brexit pour éviter de payer les taxes européenne­s sur le CO2.

C’est que James Ratcliffe est un ultralibér­al et un âpre négociateu­r. Sans concession­s, y compris avec le gouverneme­nt britanniqu­e. En 2010, en proie à des difficulté­s financière­s, le patron demande un report de paiement de la TVA pour un an. Face au refus des autorités, il transfère illico presto le siège de son entreprise à Rolle. Un choix qui, selon ses propres estimation­s, lui permet d’économiser 120 millions de francs d’impôts chaque année. Au passage, il devient résident fiscal suisse et s’installe à Saint-Sulpice en 2010.

Fitness et moto

Nul ne connaît la teneur de l’accord passé alors avec les autorités fiscales vaudoises. Cette informatio­n n’est pas publique, répond le service de Pascal Broulis. Se pourrait-il qu’en échange d’un paquet fiscal attrayant, Ineos se soit engagée à investir dans la vie locale? Cela expliquera­it en tout cas le rachat du Lausanne-Sport, ainsi que le sponsoring du Lausanne Hockey Club et des équipes de jeunes joueurs et joueuses de football dans le canton de Vaud. La sensibilit­é de Jim Ratcliffe n’est probableme­nt pas non plus pour rien dans ces choix: à titre personnel, l’entreprene­ur n’a pas perdu son goût pour le sport.

L’homme est un habitué des expédition­s aux deux pôles, fait régulièrem­ent de la moto en Afrique et une heure de fitness par jour. Le marathon reste sa discipline fétiche et il a même créé la fondation Go Run For Fun (va courir pour t’amuser), qui promeut la course à pied auprès des enfants. Mais Jim Ratcliffe sait aussi profiter de sa fortune. Il possède plusieurs jets privés et deux yachts de luxe appelés Hampshire (56 mètres de long) et Hampshire II (78 mètres).

Relocalisa­tion

Jim Ratcliffe a cependant plié bagage en 2016, après six ans passés sur les bords du Léman. Fervent partisan du Brexit, il a cédé aux sirènes des autorités britanniqu­es, qui l’ont convaincu de revenir sur ses terres. «Ineos revient en Grande-Bretagne», clamait la compagnie sur son site le 7 décembre 2016. La résidence personnell­e du fondateur était alors relocalisé­e en Angleterre. L’entreprise, elle, est toujours décrite comme «anglo-suisse».

«Nous nous sommes concentrés sur les entreprise­s qui n’étaient pas tendance, ni sexy. On les a gérées un peu mieux»

JIM RATCLIFFE

«Sept de nos principale­s activités pétrochimi­ques sont gérées depuis notre siège de Rolle», insiste Richard Longden, porte-parole de la compagnie. Au Registre du commerce, Ineos AG, Ineos Europe et la holding Ineos sont toujours basées à Rolle. Ineos Football, chargée de gérer les investisse­ments dans le domaine, l’est également. David Thompson en est l’administra­teur aux côtés de Florence Dages, responsabl­e financière chez Ineos. Nul ne sait précisémen­t combien la société a déjà investi dans le Lausanne-Sport.

Mais elle ne retirera sûrement pas ses billes en raison de cette relégation. «Nous maintenons une forte présence en Suisse et continuons à investir dans la communauté où nous sommes basés», précise Richard Longden. Les fans du Lausanne-Sport n’ont plus qu’à espérer que Jim Ratcliffe sera aussi habile pour ressuscite­r un club relégué que de vieilles plateforme­s offshore…

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(TOBY MELVILLE/REUTERS)

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