Les messages ambigus du Hamas
Le mouvement palestinien est accusé de provoquer les manifestations à Gaza. Mais il vient aussi de proposer une trêve durable à Israël
Pour Israël, comme pour les responsables américains de l’administration Trump, l’affaire est entendue: si les soldats israéliens peuvent se permettre de tirer dans la foule, y compris en visant des femmes et des enfants, c’est parce que les manifestations qui ont cours à Gaza répondent à un exercice de propagande du Hamas. «La responsabilité de ces morts tragiques incombe entièrement au Hamas», affirmait à Washington le porte-parole de la Maison-Blanche pour expliquer la tuerie de lundi, qui a fait une soixantaine de morts et plus de 2000 blessés.
Le jeu du mouvement islamiste palestinien, qui règne sur la bande de Gaza depuis 2007, est en réalité un peu moins clair. Et si le Hamas a bel et bien organisé les récentes manifestations – davantage du point de vue de la logistique que de la mobilisation –, son intention était de délivrer d’autres messages que ceux entendus à Washington.
Au cours de la journée noire de lundi, les manifestations les plus importantes que Gaza ait jamais connues se sont arrêtées pratiquement d’un coup de baguette magique. Alors que la tension était à son comble, des membres du Hamas ont exhorté les protestataires à rentrer à la maison. Bien plus: selon des journalistes palestiniens sur place, les responsables du Hamas, qui ont ensuite fait le bilan de la journée, à l’instar de Khalil al-Hayya, n’en finissaient plus d’insister sur le caractère «pacifique» de la manifestation qui venait de se terminer en bain de sang. Pour un mouvement qui glorifie, depuis des décennies, la lutte armée et les attentats suicides, le virage est saisissant.
«C’est la première fois que le Hamas s’inscrit de cette manière dans une mobilisation populaire non armée», confirme un diplomate qui connaît bien la région. Au cours des manifestations hebdomadaires qui ont ponctué la Grande Marche du retour depuis le 30 mars, pratiquement pas un coup de feu n’a été tiré côté palestinien. Et de même, aucune roquette n’a été lancée sur Israël par le Hamas, malgré les dizaines de morts palestiniens et les milliers de blessés. Mardi matin, dans le sud d’Israël, ont retenti les sirènes d’alarme qui préviennent de l’imminence de l’arrivée d’une roquette. Mais c’était une fausse alerte.
Triple objectif
Si le Hamas n’est pas à l’origine de ce mouvement, lancé par des organisations de la société civile, il s’est rapidement hissé sur le cheval pour mieux tenter de le maîtriser, un peu à l’image de ce qu’avait fait Yasser Arafat en son temps, lors du début de la deuxième Intifada palestinienne, en l’an 2000. «Le Hamas a trois objectifs, note la même source diplomatique. D’abord, replacer Gaza au centre de l’attention mondiale, ensuite reprendre la main face au Fatah, et enfin montrer aux Israéliens, mais aussi aux Etats arabes, qu’il faut encore compter avec lui.»
De fait, ces divers objectifs se mêlent, au risque de compliquer le panorama. Ainsi, ces dernières semaines, par toutes sortes de canaux, le Hamas a fait comprendre aux dirigeants israéliens qu’il serait prêt à ouvrir le dialogue avec eux. Non pour conclure officiellement la «paix» avec Israël, mais au moins pour établir une «trêve» de longue durée (elle pourrait durer cinq ou dix ans), en échange de la levée au moins partielle du blocus maintenu par l’Etat hébreu à Gaza.
Malgré les apparences, et malgré de nombreuses difficultés, une telle éventualité ne serait pas pour déplaire aux responsables de la sécurité en Israël. Au-delà de Gaza et de la question palestinienne, les militaires israéliens sont aujourd’hui surtout préoccupés par les menaces de l’Iran et de ses alliés du Hezbollah libanais. Un apaisement du côté du Hamas leur permettrait de se concentrer davantage sur leur frontière nord. L’un des principaux tests pour avancer dans cette voie, ont laissé entendre les Israéliens, c’était précisément les manifestations qui se déroulent ces jours à Gaza. La réponse du Hamas face au massacre est donc déterminante.
Le Hamas n’a pas les moyens d’une nouvelle guerre contre Israël. Et ses nouveaux chefs pourraient rapidement subir les foudres de l’armée israélienne. Mais paradoxalement, si cette possibilité – encore lointaine – d’une paix «séparée» du Hamas est vue d’un mauvais oeil, c’est bien du côté de l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas, à Ramallah. Malgré quelques manifestations, la Cisjordanie est restée à l’écart de l’explosion de colère qui a frappé Gaza. Les deux territoires palestiniens sont certes de plus en plus dissemblables, mais ce n’est pas là l’unique raison: les services de sécurité de Mahmoud Abbas n’ont pas hésité à procéder à de multiples rafles au sein des sympathisants du Hamas en prévision, semble-t-il, de cette montée annoncée de la tension. Face à une Autorité palestinienne totalement déconsidérée en Cisjordanie, le Hamas représente, de loin, le rival le plus dangereux en termes politiques. Le moindre «succès» du mouvement islamiste serait perçu comme un camouflet par le président vieillissant, qui mène une lutte à couteaux tirés avec le Hamas à Gaza, quitte à la faire lourdement payer à l’ensemble des Gazaouis.
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Ces dernières semaines, le Hamas a fait comprendre aux dirigeants israéliens qu’il serait prêt à ouvrir le dialogue avec eux