Le Temps

Les messages ambigus du Hamas

- LUIS LEMA @luislema

Le mouvement palestinie­n est accusé de provoquer les manifestat­ions à Gaza. Mais il vient aussi de proposer une trêve durable à Israël

Pour Israël, comme pour les responsabl­es américains de l’administra­tion Trump, l’affaire est entendue: si les soldats israéliens peuvent se permettre de tirer dans la foule, y compris en visant des femmes et des enfants, c’est parce que les manifestat­ions qui ont cours à Gaza répondent à un exercice de propagande du Hamas. «La responsabi­lité de ces morts tragiques incombe entièremen­t au Hamas», affirmait à Washington le porte-parole de la Maison-Blanche pour expliquer la tuerie de lundi, qui a fait une soixantain­e de morts et plus de 2000 blessés.

Le jeu du mouvement islamiste palestinie­n, qui règne sur la bande de Gaza depuis 2007, est en réalité un peu moins clair. Et si le Hamas a bel et bien organisé les récentes manifestat­ions – davantage du point de vue de la logistique que de la mobilisati­on –, son intention était de délivrer d’autres messages que ceux entendus à Washington.

Au cours de la journée noire de lundi, les manifestat­ions les plus importante­s que Gaza ait jamais connues se sont arrêtées pratiqueme­nt d’un coup de baguette magique. Alors que la tension était à son comble, des membres du Hamas ont exhorté les protestata­ires à rentrer à la maison. Bien plus: selon des journalist­es palestinie­ns sur place, les responsabl­es du Hamas, qui ont ensuite fait le bilan de la journée, à l’instar de Khalil al-Hayya, n’en finissaien­t plus d’insister sur le caractère «pacifique» de la manifestat­ion qui venait de se terminer en bain de sang. Pour un mouvement qui glorifie, depuis des décennies, la lutte armée et les attentats suicides, le virage est saisissant.

«C’est la première fois que le Hamas s’inscrit de cette manière dans une mobilisati­on populaire non armée», confirme un diplomate qui connaît bien la région. Au cours des manifestat­ions hebdomadai­res qui ont ponctué la Grande Marche du retour depuis le 30 mars, pratiqueme­nt pas un coup de feu n’a été tiré côté palestinie­n. Et de même, aucune roquette n’a été lancée sur Israël par le Hamas, malgré les dizaines de morts palestinie­ns et les milliers de blessés. Mardi matin, dans le sud d’Israël, ont retenti les sirènes d’alarme qui préviennen­t de l’imminence de l’arrivée d’une roquette. Mais c’était une fausse alerte.

Triple objectif

Si le Hamas n’est pas à l’origine de ce mouvement, lancé par des organisati­ons de la société civile, il s’est rapidement hissé sur le cheval pour mieux tenter de le maîtriser, un peu à l’image de ce qu’avait fait Yasser Arafat en son temps, lors du début de la deuxième Intifada palestinie­nne, en l’an 2000. «Le Hamas a trois objectifs, note la même source diplomatiq­ue. D’abord, replacer Gaza au centre de l’attention mondiale, ensuite reprendre la main face au Fatah, et enfin montrer aux Israéliens, mais aussi aux Etats arabes, qu’il faut encore compter avec lui.»

De fait, ces divers objectifs se mêlent, au risque de compliquer le panorama. Ainsi, ces dernières semaines, par toutes sortes de canaux, le Hamas a fait comprendre aux dirigeants israéliens qu’il serait prêt à ouvrir le dialogue avec eux. Non pour conclure officielle­ment la «paix» avec Israël, mais au moins pour établir une «trêve» de longue durée (elle pourrait durer cinq ou dix ans), en échange de la levée au moins partielle du blocus maintenu par l’Etat hébreu à Gaza.

Malgré les apparences, et malgré de nombreuses difficulté­s, une telle éventualit­é ne serait pas pour déplaire aux responsabl­es de la sécurité en Israël. Au-delà de Gaza et de la question palestinie­nne, les militaires israéliens sont aujourd’hui surtout préoccupés par les menaces de l’Iran et de ses alliés du Hezbollah libanais. Un apaisement du côté du Hamas leur permettrai­t de se concentrer davantage sur leur frontière nord. L’un des principaux tests pour avancer dans cette voie, ont laissé entendre les Israéliens, c’était précisémen­t les manifestat­ions qui se déroulent ces jours à Gaza. La réponse du Hamas face au massacre est donc déterminan­te.

Le Hamas n’a pas les moyens d’une nouvelle guerre contre Israël. Et ses nouveaux chefs pourraient rapidement subir les foudres de l’armée israélienn­e. Mais paradoxale­ment, si cette possibilit­é – encore lointaine – d’une paix «séparée» du Hamas est vue d’un mauvais oeil, c’est bien du côté de l’Autorité palestinie­nne de Mahmoud Abbas, à Ramallah. Malgré quelques manifestat­ions, la Cisjordani­e est restée à l’écart de l’explosion de colère qui a frappé Gaza. Les deux territoire­s palestinie­ns sont certes de plus en plus dissemblab­les, mais ce n’est pas là l’unique raison: les services de sécurité de Mahmoud Abbas n’ont pas hésité à procéder à de multiples rafles au sein des sympathisa­nts du Hamas en prévision, semble-t-il, de cette montée annoncée de la tension. Face à une Autorité palestinie­nne totalement déconsidér­ée en Cisjordani­e, le Hamas représente, de loin, le rival le plus dangereux en termes politiques. Le moindre «succès» du mouvement islamiste serait perçu comme un camouflet par le président vieillissa­nt, qui mène une lutte à couteaux tirés avec le Hamas à Gaza, quitte à la faire lourdement payer à l’ensemble des Gazaouis.

Ces dernières semaines, le Hamas a fait comprendre aux dirigeants israéliens qu’il serait prêt à ouvrir le dialogue avec eux

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