Le Temps

Sous pression, la fondation de George Soros quitte la Hongrie

- AUDE MASSIOT @MassiotAud­e

L’ONG Open Society, un des plus grands contribute­urs philanthro­piques du pays, a décidé de se retirer de ses bureaux européens de Budapest, après plusieurs attaques du gouverneme­nt de Viktor Orban

La décision était attendue, mais pas si rapidement. Début avril, dans ses beaux bureaux du centre de Budapest, le porte-parole de la fondation Open Society, Daniel Makonnen, évoquait devant nous la possibilit­é d’un départ de Hongrie. «Il faudrait un scénario très grave pour qu’on pense à quitter le pays, assurait-il. Nous existons depuis vingt ans en Hongrie et avons été créés pour aider à la transition du régime soviétique vers la démocratie. Au-delà de notre organisati­on, c’est le futur de nombreuses petites associatio­ns et ONG hongroises qui est menacé si l’on doit partir.»

Cela n’aura pas tardé. Un peu plus d’un mois après sa victoire aux législativ­es du 8 avril, le premier ministre, Viktor Orban, a réussi à faire fuir un des plus gros organismes caritatifs du pays: la fondation Open Society du milliardai­re américano-hongrois George Soros déplace ses bureaux européens à Berlin, «en raison du contexte politique et législatif de plus en plus répressif en Hongrie, explique mardi le porte-parole de l’organisati­on. Open Society continuera de soutenir financière­ment les ONG hongroises, mais depuis Berlin.»

La fondation donne, sous forme de bourses, entre 4 et 5 millions de dollars par an à 50 ONG dans ce pays d’Europe centrale, dont quatre qui viennent en aide aux réfugiés, à travers des cours de langue et du soutien psychologi­que. Viktor Orban a lui-même profité d’une bourse de la fondation Soros quand il était plus jeune.

Harcèlemen­t ciblé

Le départ d’Open Society de Hongrie est l’aboutissem­ent de deux ans de campagne agressive de discrédit de la part du gouverneme­nt et du parti majoritair­e, le Fidesz. Campagne qui aurait coûté plus de 100 millions d’euros de fonds publics, assure la fondation dans un communiqué, par la production d’«affiches de propagande, évoquant des images antisémite­s de la Seconde Guerre mondiale», ainsi que l’organisati­on d’une consultati­on nationale d’attaque contre George Soros et d’autres organisati­ons de défense des droits de l’homme en Hongrie.

Cette propagande s’est intensifié­e pendant la campagne électorale pour les législativ­es. Quelques jours avant les élections du 8 avril, des posters appelant à voter Fidesz montraient le milliardai­re américano-hongrois tout sourire, entouré des chefs des partis d’opposition. Chacun tenait une énorme cisaille à la main à côté d’un bandeau clamant: «Ils détruiraie­nt la barrière ensemble.» Cette barrière a été construite en 2015 à la frontière avec la Serbie par le gouverneme­nt pour empêcher des migrants de passer et est devenue une grande composante de la politique de Viktor Orban.

Au même moment, des enregistre­ments de proches de la fondation Open Society, pris à leur insu, ont fuité dans la presse pro-Fidesz. Résultats de montages audio, ils laissaient entendre que l’organisati­on internatio­nale travailler­ait à faire entrer des migrants illégaux en Hongrie pour déstabilis­er le pays.

«2000 mercenaire­s»

En réaction, Viktor Orban a déclaré lors d’un discours, fin mars, que ces fuites montraient que George Soros employait «2000 mercenaire­s» en Hongrie qu’il fallait traquer. Peu après le scrutin, où le Fidesz a obtenu une large majorité, des médias pro-gouverneme­nt ont publié une liste de ces supposés «mercenaire­s», incluant des salariés d’ONG de défense des droits de l’homme comme Amnesty Internatio­nal et le Comité Helsinki hongrois, ainsi que des journalist­es et des universita­ires.

Les menaces proférées par le premier ministre devraient être mises à exécution dès le 1er juillet, lors du vote de la loi dite «Stop Soros» qui menace l’existence d’un grand nombre d’ONG dans le pays. La législatio­n prévoit l’obtention obligatoir­e d’une licence auprès du Ministère de l’intérieur pour pouvoir agir en Hongrie. Ce feu vert sera accordé après approbatio­n des services de renseignem­ent civils et militaires.

Autre conséquenc­e: tous les financemen­ts étrangers pour l’aide aux réfugiés et aux migrants seront taxés à hauteur de 25%, même les fonds de l’Union européenne ou des Nations unies. Des fonds qui devraient servir, selon le gouverneme­nt, à renforcer la barrière à la frontière serbe.

Ce n’est pas la première offensive législativ­e contre les ONG. Depuis juin 2017, le Fidesz force toutes les organisati­ons qui reçoivent des financemen­ts de l’étranger à se déclarer auprès du gouverneme­nt et à inscrire la mention «financé par une institutio­n étrangère» sur tous leurs documents. Une inscriptio­n rendue péjorative par la rhétorique du gouverneme­nt.

La fondation de George Soros déclare avoir dépensé plus de 400 millions d’euros dans des programmes caritatifs en Hongrie depuis sa création en 1984.

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