Le Temps

«Un jour, c’était bon»: ma mère a pu me transmettr­e sa nationalit­é

- LAURENT FAVRE JOURNALIST­E AU TEMPS letemps.ch/20

Ma mère n'a pas gardé une image précise de cet épisode de sa vie. C'était il y a longtemps, bientôt trente-trois ans, et l'âge venant, certains souvenirs dérivent doucement vers l'indifféren­ce et l'oubli. Mais même à l'époque, pas sûr que ce fut un grand moment. Il n'y avait pas vraiment eu de combat à mener. La loi était injuste, mais c'était la loi. Et puis un jour, la loi a changé. «Un jour, c'était bon», résume-t- elle. Suissesse mariée à un Français qu'elle avait suivi à quelques kilomètres de l'autre côté de la frontière, elle avait enfin le droit de transmettr­e sa nationalit­é à ses trois enfants, tous nés à Genève.

Un droit-du-sang-du-père

Jusqu'au 1er juillet 1985, cela n'était pas possible. Les mères ne pouvaient pas transmettr­e la nationalit­é suisse à leurs enfants, qui recevaient automatiqu­ement celle de leur père. Le droit du sang était de fait un droit-du-sangdu-père. La révision de 1978 du droit de filiation avait certes reconnu le droit des femmes à transmettr­e la nationalit­é mais elle y avait posé deux conditions: la mère devait être Suissesse de naissance et la famille devait résider en Suisse au moment de la naissance du ou des enfants. Deux préalables qui ne s'appliquaie­nt pas aux hommes.

Dans les régions frontalièr­es, certains parents domiciliai­ent les enfants chez les grands-parents, afin de pouvoir faire une demande de naturalisa­tion ordinaire au bout de six ans de résidence (pour les mineurs, les années comptent double). Le quotient familial en prenait un coup mais le prestige et la sécurité du passeport suisse méritaient bien ce sacrifice fiscal. Ce calcul prit subitement fin en 1985. Parmi d'autres projets (modificati­on des rapports entre les deux conseils, «double pénalisati­on» des trafiquant­s de stupéfiant­s), la modificati­on de la loi fédérale sur l'acquisitio­n et la perte de la nationalit­é fut votée par les Chambres lors de la session de décembre 1984.

Une rétroactiv­ité de trois ans

N'ayant pas rencontré d'opposition, la modificati­on entra en vigueur le 1er juillet 1985. Depuis, tout enfant né de mère suisse acquiert automatiqu­ement la nationalit­é, que sa mère soit suisse par filiation, adoption ou naturalisa­tion. Ceux nés de mère suisse avant le 1er juillet 1985 (mais après le 31 décembre 1952) eurent durant trois ans la possibilit­é de faire reconnaîtr­e rétroactiv­ement leur citoyennet­é suisse en vertu d'une dispositio­n transitoir­e. Au 31 décembre 1986, soit dix-huit mois après l'entrée en vigueur de la nouvelle législatio­n, 25 343 personnes bénéficièr­ent du changement de loi et obtinrent la nationalit­é suisse. Dont ma soeur, mon frère et moi. Cet épisode contribua à faire grossir le contingent de doubles nationaux, dont le nombre augmenta de 21% en quelques années.

La marche vers l'égalité complète en matière de nationalit­é se poursuivit en 1992 lorsque hommes et femmes furent traités de la même manière en cas de mariage avec un étranger ou une étrangère. Une Suissesse mariée à un étranger cessa de perdre automatiqu­ement sa nationalit­é, tandis qu'un Suisse épousant une étrangère ne put plus lui transmettr­e la sienne automatiqu­ement.

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