Une initiative veut tirer les juges fédéraux au sort
Un comité d'initiative s'indigne de la surpolitisation de la composition du Tribunal fédéral. Il propose de retirer à l'Assemblée fédérale le droit d'élire les juges et de les tirer au sort parmi les candidatures jugées aptes
Elire les juges fédéraux par tirage au sort: l'idée est lancée par un comité citoyen à l'origine d'une initiative populaire lancée mardi. Intitulée «Désignation des juges fédéraux par tirage au sort» ou, plus simplement, «Initiative sur la justice», elle ambitionne de privilégier les compétences des candidat(e)s plutôt que leur appartenance politique. Le problème est reconnu depuis des années: pour avoir une chance de faire partie du cénacle fermé des juges fédéraux, un candidat ou une candidate doit s'affilier à un parti, car c'est l'Assemblée fédérale qui les élit en tenant compte des forces politiques.
Pendant des années, cela n'a guère posé de problèmes dans la mesure où l'immense majorité des arbitres du Tribunal fédéral (TF) provenaient des rangs libéraux, radicaux, démocrates-chrétiens et socialistes, certains étant même indépendants. L'UDC venait loin derrière. Mais ça a changé. L'UDC et les Verts se sont mobilisés pour être mieux représentés dans les instances judiciaires fédérales. Aujourd'hui, c'est l'UDC, qui, avec 10 juges sur 38 postes à plein temps, dispose du plus grand nombre de magistrats à Mon-Repos. Ce parti devance le PS (9 juges), le PDC (7), le PLR (6), les Verts (4), les Vert'libéraux et le PBD (1 chacun). Les indépendants n'ont quasiment plus aucune chance de se faire élire au TF. «Les compétences professionnelles prévalent dans nos choix. Mais le fait de ne pas appartenir à un parti peut être un handicap», confirme Jean-Paul Gschwind (PDC/JU), président de la Commission judiciaire, qui propose les candidatures à l'Assemblée fédérale.
Dans un rapport publié en 2017, le Groupe d'Etats contre la corruption (Greco) du Conseil de l'Europe s'est préoccupé des liens trop étroits entre les juges et les partis. Il s'est notamment inquiété du fait que les juges reversaient une partie de leur salaire à la formation politique à laquelle ils sont rattachés. Une enquête du site d'information Bon pour la tête a donné des chiffres: un juge socialiste reverse 4% à son parti, un UDC 2%, un Vert entre 3 et 6%. En d'autres termes: plus un parti a de juges, plus il remplit sa caisse. Le Greco a demandé l'abandon de ces contributions financières.
Une clause pour les régions linguistiques
Imaginée par l'industriel alémanique Adrian Gasser, classé par Bilanz parmi les 300 personnalités les plus riches du pays, l'«Initiative sur la justice» aurait pour avantage de mettre un terme à cette pratique et de rompre les liens entre les magistrats et les partis. Que propose-t-elle? Le Conseil fédéral désignerait une commission d'experts d'environ 12 membres élus pour douze ans chacun. Elle serait chargée de présélectionner les candidat(e)s «selon des critères objectifs d'aptitude professionnelle et personnelle à devenir juge fédéral». L'élection se ferait ensuite par tirage au sort.
Adrian Gasser trouve «choquant et inacceptable» que les juges fassent partie de la «classe politique»
Adrian Gasser trouve «choquant et inacceptable» que les juges fassent partie de la «classe politique». Il s'est adjugé le soutien de personnalités diverses, dont le politologue tessinois Nenad Stojanovic, membre du PS. «Le tirage au sort est un mécanisme démocratique qui présente plusieurs avantages. Dans le cas présent, il résout le problème de l'appartenance à un parti. Les experts pourront apprécier leurs compétences sans avoir trop de pouvoir entre leurs mains, puisqu'ils n'éliront pas les juges eux-mêmes», analyse-t-il.
Le texte de l'initiative inclut une clause de représentation équitable des minorités linguistiques. «C'est important au TF, car les procédures sont traitées dans leur langue d'origine», relève Nenad Stojanovic. Et les femmes, qui sont aujourd'hui 14 sur 38? Aucun quota n'est prévu. Le politologue se dit convaincu que le tirage au sort «respecte mieux l'égalité des chances» que le mode électoral actuel. Pour autant bien sûr qu'il y ait un nombre de candidatures féminines au moins équivalent à celui des hommes. L'avenir dira si cette solution résout vraiment le problème de la politisation des juges.
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