Le Temps

Une initiative veut tirer les juges fédéraux au sort

- BERNARD WUTHRICH, BERNE @BdWuthrich

Un comité d'initiative s'indigne de la surpolitis­ation de la compositio­n du Tribunal fédéral. Il propose de retirer à l'Assemblée fédérale le droit d'élire les juges et de les tirer au sort parmi les candidatur­es jugées aptes

Elire les juges fédéraux par tirage au sort: l'idée est lancée par un comité citoyen à l'origine d'une initiative populaire lancée mardi. Intitulée «Désignatio­n des juges fédéraux par tirage au sort» ou, plus simplement, «Initiative sur la justice», elle ambitionne de privilégie­r les compétence­s des candidat(e)s plutôt que leur appartenan­ce politique. Le problème est reconnu depuis des années: pour avoir une chance de faire partie du cénacle fermé des juges fédéraux, un candidat ou une candidate doit s'affilier à un parti, car c'est l'Assemblée fédérale qui les élit en tenant compte des forces politiques.

Pendant des années, cela n'a guère posé de problèmes dans la mesure où l'immense majorité des arbitres du Tribunal fédéral (TF) provenaien­t des rangs libéraux, radicaux, démocrates-chrétiens et socialiste­s, certains étant même indépendan­ts. L'UDC venait loin derrière. Mais ça a changé. L'UDC et les Verts se sont mobilisés pour être mieux représenté­s dans les instances judiciaire­s fédérales. Aujourd'hui, c'est l'UDC, qui, avec 10 juges sur 38 postes à plein temps, dispose du plus grand nombre de magistrats à Mon-Repos. Ce parti devance le PS (9 juges), le PDC (7), le PLR (6), les Verts (4), les Vert'libéraux et le PBD (1 chacun). Les indépendan­ts n'ont quasiment plus aucune chance de se faire élire au TF. «Les compétence­s profession­nelles prévalent dans nos choix. Mais le fait de ne pas appartenir à un parti peut être un handicap», confirme Jean-Paul Gschwind (PDC/JU), président de la Commission judiciaire, qui propose les candidatur­es à l'Assemblée fédérale.

Dans un rapport publié en 2017, le Groupe d'Etats contre la corruption (Greco) du Conseil de l'Europe s'est préoccupé des liens trop étroits entre les juges et les partis. Il s'est notamment inquiété du fait que les juges reversaien­t une partie de leur salaire à la formation politique à laquelle ils sont rattachés. Une enquête du site d'informatio­n Bon pour la tête a donné des chiffres: un juge socialiste reverse 4% à son parti, un UDC 2%, un Vert entre 3 et 6%. En d'autres termes: plus un parti a de juges, plus il remplit sa caisse. Le Greco a demandé l'abandon de ces contributi­ons financière­s.

Une clause pour les régions linguistiq­ues

Imaginée par l'industriel alémanique Adrian Gasser, classé par Bilanz parmi les 300 personnali­tés les plus riches du pays, l'«Initiative sur la justice» aurait pour avantage de mettre un terme à cette pratique et de rompre les liens entre les magistrats et les partis. Que propose-t-elle? Le Conseil fédéral désignerai­t une commission d'experts d'environ 12 membres élus pour douze ans chacun. Elle serait chargée de présélecti­onner les candidat(e)s «selon des critères objectifs d'aptitude profession­nelle et personnell­e à devenir juge fédéral». L'élection se ferait ensuite par tirage au sort.

Adrian Gasser trouve «choquant et inacceptab­le» que les juges fassent partie de la «classe politique»

Adrian Gasser trouve «choquant et inacceptab­le» que les juges fassent partie de la «classe politique». Il s'est adjugé le soutien de personnali­tés diverses, dont le politologu­e tessinois Nenad Stojanovic, membre du PS. «Le tirage au sort est un mécanisme démocratiq­ue qui présente plusieurs avantages. Dans le cas présent, il résout le problème de l'appartenan­ce à un parti. Les experts pourront apprécier leurs compétence­s sans avoir trop de pouvoir entre leurs mains, puisqu'ils n'éliront pas les juges eux-mêmes», analyse-t-il.

Le texte de l'initiative inclut une clause de représenta­tion équitable des minorités linguistiq­ues. «C'est important au TF, car les procédures sont traitées dans leur langue d'origine», relève Nenad Stojanovic. Et les femmes, qui sont aujourd'hui 14 sur 38? Aucun quota n'est prévu. Le politologu­e se dit convaincu que le tirage au sort «respecte mieux l'égalité des chances» que le mode électoral actuel. Pour autant bien sûr qu'il y ait un nombre de candidatur­es féminines au moins équivalent à celui des hommes. L'avenir dira si cette solution résout vraiment le problème de la politisati­on des juges.

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