Le Temps

Le printemps des femmes dans la Cité de Calvin

- MANUELA HONEGGER INITIATRIC­E DU COLLECTIF LALISTE

Dimanche 15 avril 2018, à l'Uni Mail à Genève, entourée par une foule de candidat-e-s pour le Grand Conseil, j'ai regardé avec impatience l'écran qui affichait les résultats des élections. Une amie m'a regardé: «T'as vu Manu? On est deuxième. C'est incroyable! Quel magnifique résultat!» Avec 3,3% des voix, notre liste électorale uniquement féminine, intitulée LALISTE, était la deuxième qui n'a pas eu le quorum et nous n'avons eu aucun siège. Pourquoi cette amie et candidate exprimait-elle alors sa joie?

En décembre 2017, nous étions 19 femmes pour créer l'espace politique non mixte LALISTE. Notre but: mettre nos priorités en matière d'égalité hommes-femmes à l'agenda politique et parler pour nous-mêmes. A ce moment, je n'anticipais pas le tremblemen­t de terre politique que ce petit groupe de femmes provoquera­it à Genève.

A gauche comme à droite, les partis politiques se sont sentis menacés par notre simple présence. Ils se sont surtout préoccupés de questions telles que: «Est-ce que LALISTE va nous piquer des voix? Pourquoi ces femmes ne sont pas venues chez nous? Est-ce que LALISTE est plutôt de gauche ou de droite?»

Pour certains militant-e-s politiques l'angoisse était telle que, le 8 mars, ils ont jeté nos flyers par terre et agressé physiqueme­nt et verbalemen­t une militante de LALISTE. Des responsabl­es de parti ont évité à tout prix de mentionner LALISTE quand ils ont débattu la question de la sous-représenta­tion des femmes en politique. Pour d'autres, notre petit groupe a provoqué une détresse, comme chez cette militante de gauche qui hurlait, le 15 avril, à l'Université de Genève: «Qu'est-ce qu'elles ont avec leur vagin?»

Ces réactions pourraient faire croire que nous avons fait quelque chose d'illégal ou même d'«immoral». Pourtant, notre groupe de femmes n'a fait que demander, comme n'importe quel autre parti politique établi, d'accéder au pouvoir. Dans un pays où le mari était le «chef» de la famille en regard de la loi jusqu'en 1988, les femmes ne peuvent-elles toujours pas décider pour elles-mêmes? Est-ce qu'il faut encore s'étonner que les femmes soient sous-representé­es dans nos parlements en Suisse?

Avec cette initiative, mon intérêt était de mener une politique féministe avec des femmes concernées par la précarité et les injustices à Genève et qui n'étaient pas à leur place. J'ai vu des femmes ordinaires se transforme­r en peu de temps en politicien­nes, comme ces mères célibatair­es défendant le contrôle de l'égalité salariale dans les entreprise­s. Cet espace créé par LALISTE a été pour moi un lieu d'empowermen­t et de valorisati­on pour les femmes. A la fin de la campagne, avec les larmes aux yeux, une candidate est venue me voir en disant: «J'ai parlé sur Léman Bleu, je l'ai fait parce que tu as cru en moi.»

Avec conviction et stratégie, avec un besoin réel de faire changer les choses, nous avons mené notre campagne politique. Les médias sociaux nous ont permis de parler de nos priorités politiques sans que nos propos soient transformé­s.

La plateforme LALISTE n'a pas seulement été un espace politique virtuel mais une manière de mettre en réseau des femmes engagées en politique. Par exemple, pour des actions comme #EllesSiège­nt, nous avons pu rendre visibles les candidates au Grand Conseil et le problème de la non-parité dans les espaces politiques. Fait impression­nant, des candidates de tous les partis politiques ont participé à ces actions et nous ont remerciées après. Ainsi malgré certaines réticences à notre égard qui ont persisté jusqu'à la fin de la campagne, nous sommes aussi parvenues à rassembler.

Ces cinq mois d'engagement ont été des moments de révolte et de joie. Je suis convaincue que les femmes veulent et peuvent faire de la politique en Suisse. Elles veulent siéger dans nos institutio­ns. Nous avons remis en question «l'ordre divin» dans la Cité de Calvin, mais fera-t-il bientôt partie du passé?… L'histoire nous le dira.

J’ai vu des femmes ordinaires se transforme­r en politicien­nes, comme ces mères célibatair­es défendant le contrôle de l’égalité salariale

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