Comment ne pas limiter la prolifération des armes nucléaires
Alors que les Etats-Unis, la Russie et la Chine modernisent leurs armes nucléaires et s'agitent à propos de la technologie de leurs rivaux et de leur potentiel de déstabilisation de «l'équilibre de la terreur», ces pays attirent aussi l'attention du monde sur les menaces de prolifération nucléaire. A cet égard, l'attention s'est portée sur la Corée du Nord et l'Iran. Ces Etats sont pourtant très différents. La Corée du Nord est un pays qui s'est doté de l'arme nucléaire en dehors du Traité de non-prolifération (TNP), qui n'est pas soumis à inspection et qui dispose d'un programme de missiles très développé. Par contre, l'Iran qui déclare ne pas vouloir détenir d'armes nucléaires, adhère au TNP, est soumis aux inspections et, à la suite de l'accord sur le nucléaire iranien de 2015 (JCPoA) conclut avec les membres permanents du Conseil de sécurité ainsi que l'Allemagne, accepte des inspections plus intrusives que celles qui sont menées dans tout autre Etat.
Malgré ces différences, l'Iran et la Corée du Nord sont souvent considérés comme étant des pays hors-la-loi, particulièrement dangereux pour l'ordre international. Curieusement, les autres Etats qui ont refusé d'adhérer au TNP, ont menti sur leurs programmes, ont acquis le statut de pays dotés d'armes nucléaires (Inde, Pakistan et Israël) et échappent à toute critique. Malgré l'habitude dangereuse du Pakistan qui utilise ses armes nucléaires comme bouclier pour parrainer le terrorisme en Inde et bien qu'Israël soit dans une situation de guerre permanente avec ses voisins, ces Etats échappent largement à l'attention et aux invectives.
Pourrait-on argumenter que le fait de posséder des armes nucléaires dans ces régions a plus ou moins stabilisé ces conflits? Ou, de manière plus contre-intuitive, que ces armes n'ont rien changé ou presque aux rivalités et aux conflits actuels? S'agissant de l'Inde et du Pakistan, il est difficile d'échapper à la conclusion que la dissuasion nucléaire a rendu moins probable la perspective d'une victoire décisive de l'un ou de l'autre lors d'une guerre conventionnelle. Malgré les tentatives irresponsables du Pakistan visant à élargir l'usage des armes nucléaires afin de pouvoir les utiliser ou de bénéficier d'une agression à un niveau d'intensité plus faible, ce pays n'est pas arrivé à ses fins.
Quid d'Israël? Supérieur du point de vue des armes conventionnelles par rapport à tous ses ennemis, quelle que soit la configuration dans laquelle ils se trouveraient, Israël et ses armes nucléaires semblent être redondantes. Le fait de posséder des armes nucléaires n'a pas empêché les intifadas (insurrections, révoltes) ou des guerres conventionnelles de faible intensité (contre le Hezbollah en 2006). En fait, pour Israël (ainsi que pour la Corée du Nord) le seul intérêt des armes nucléaires est qu'elles constituent une garantie contre une menace existentielle (ce que certains Etats appellent un «changement de régime»). Les lecteurs décideront eux-mêmes si les craintes de la Corée du Nord devant un changement de régime sont fondées ou non. Et aussi si les mises en garde apocalyptiques proférées de manière incessante par Israël concernant la menace que représente l'Iran sont précises et judicieuses ou si elles masquent une volonté de conserver le monopole nucléaire dans la région. Certains diront un monopole qui ne fait de mal à personne, mais un monopole tout de même…
Ce qui nous amène à la question du jour: les ambitions nucléaires de l'Iran doivent-elles être traitées dans un instrument international prévoyant des inspections intrusives et des garanties ou plutôt par la menace, la force et des sanctions? Les Etats renoncent-ils à leurs moyens potentiels de se défendre et de se hisser au même niveau que les autres en étant mis le dos au mur ou si on répond à leurs attentes en partie, si on les rassure, si on les met sous pression et si on les convainc que la limitation des armes de destruction massive telles que les armes nucléaires est un jeu à somme non nulle?
De même, la Corée du Nord s'assied-elle à la table des négociations suite aux pressions et aux menaces ou parce qu'elle a atteint son objectif qui est de garantir la sécurité du régime? Après avoir placé le monde devant un fait accompli, il est improbable qu'elle y renonce pour faire plaisir au «radoteur» Donald Trump. Le résultat est que ce dernier devra accepter le statut de puissance nucléaire de la Corée du Nord, alors qu'il ne ménage aucun effort pour amener l'Iran, soumis à de fortes contraintes, à s'engager dans la même voie.
La prophétie relative à la menace iranienne, répétée ad nauseam par Israël et qui, rappelons-le, remonte à 1990, est devenue autoréalisatrice. Ceux qui, en Iran, se délectent de cette animosité n'ont aucun mal à la justifier lorsqu'ils sont soumis aux attaques aériennes ou sont pris sous les bombes verbales lancées par un dirigeant israélien qui donne l'impression d'être aussi déjanté que ceux qu'il dénonce. Malheureusement Israël ne s'est fait aucune faveur en encourageant Trump à dénoncer l'accord nucléaire laborieusement négocié à Genève et à Vienne. Les conséquences pour la région et Israël seront plus néfastes qu'un Iran dont les mains sont liées par ses obligations internationales.
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Israël ne s’est fait aucune faveur en encourageant Trump à dénoncer l’accord nucléaire laborieusement négocié à Genève et à Vienne