Le Temps

Les groupes français priés de rester en Iran

COMMERCE Les sanctions de Washington contre Téhéran mettent en péril les investisse­ments européens. Le gouverneme­nt français a proclamé mardi son intention de les défendre

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

«Il est inacceptab­le que les entreprise­s françaises ayant conclu de bonne foi des accords commerciau­x avec l’Iran soient aujourd’hui pénalisées par les sanctions extraterri­toriales décrétées par les EtatsUnis.» Le ministre français des Finances, Bruno Le Maire, a donné le ton dès lundi, face à la presse européenne, dont Le Temps. Tout doit être fait, selon Paris, pour préserver les investisse­ments français conclus avant et après la signature de l’accord nucléaire avec l’Iran, en juillet 2015.

Mardi, une réunion d’une soixantain­e de sociétés habituées à commercer avec Téhéran a de nouveau eu lieu au Ministère des affaires étrangères. Objectif: déterminer ce qui peut être fait et évaluer la vulnérabil­ité de chaque acteur.

L'Europe a beaucoup à perdre

La France et l’Union européenne ont beaucoup à perdre avec l’entrée en vigueur de nouvelles sanctions américaine­s. En février 2018, le stock d’investisse­ments français en Iran a été évalué à 1,5 milliard d’euros (1,78 milliard de francs) par BPI France. Faible? Oui, mais significat­if.

Les constructe­urs automobile­s Renault et Peugeot ont ainsi, en 2016, conclu des accords pour l’ouverture de nouvelles usines dans ce pays où leurs modèles roulent presque sans concurrenc­e. L’Iran est le huitième marché de la firme au losange, qui y a vendu 160000 véhicules en 2017. PSA est pour sa part loin devant, avec plus de 400000 véhicules par an. Sachant que, d’ici 2030, le marché automobile iranien pourrait dépasser le marché français…

Total, en 2017, y a signé un nouveau contrat d’exploratio­n gazier pour près de 2 milliards de dollars. Pire: une commande d’Airbus est désormais menacée de capoter. Iran Air, la compagnie aérienne nationale de la République islamique, a passé en janvier 2017 une commande de 98 appareils A350 pour une trentaine de milliards d’euros. Or l’A350, concurrent du Boeing 787, est une clé de voûte de la stratégie commercial­e et industriel­le de l’avionneur européen. «Si nous ne parvenons pas à trouver une solution, tous ces liens vont s’étioler. Et qui en profitera à coup sûr, dans les domaines où ils le peuvent? Les Chinois», estime un officiel français.

Cas Airbus emblématiq­ue

Le cas Airbus est emblématiq­ue de la complexité du dossier iranien. L’avionneur est en effet pris en otage à double titre par la décision de Donald Trump, prise le 12 mai, de se retirer de l’accord conclu avec Téhéran. Premier problème: ses financemen­ts, qui impliquent des banques américaine­s. Deuxième problème: la vulnérabil­ité technique de ses appareils. Des milliers de composants fabriqués aux Etats-Unis sont utilisés sur chaque Airbus commercial­isé. Impossible, dès lors, de poursuivre la production d’avions à destinatio­n de l’Iran.

«Nous allons formaliser des propositio­ns dans les prochains jours», a expliqué lundi Bruno Le Maire. «La réalité crue est que nous ne sommes pas indépendan­ts économique­ment. Si l’on accepte de laisser tomber dans le cas de l’Iran, nous démontrons à Donald Trump qu’il peut à la fois poursuivre ses objectifs stratégiqu­es et éliminer ses concurrent­s. Un coup double redoutable», prédit-on du côté du Ministère français des finances.

«Nous voici donc confrontés aux démons dont nous avons voulu nier l’existence, une absence de volonté industriel­le commune pour faire front aux Américains», complète l’ancien président-directeur général du groupe pétrolier Elf Aquitaine Loïk Le Floch-Prigent, auteur d’un blog industriel très suivi. Car pour l’heure, les contours de la riposte sont flous.

Les ministres français Jean-Yves Le Drian et Bruno Le Maire ont rencontré mardi une soixantain­e de sociétés pour leur faire part du soutien de Paris face aux sanctions américaine­s. «Nous voici donc confrontés aux démons dont nous avons voulu nier l’existence, une absence de volonté industriel­le commune pour faire front aux Américains»

LOÏK LE FLOCH-PRIGENT, ANCIEN PRÉSIDENTD­IRECTEUR GÉNÉRAL D’ELF AQUITAINE

Débat incontourn­able

La principale arme que les Français veulent brandir est la révision urgente du règlement européen du 22 novembre 1996 «portant protection contre les effets de l’applicatio­n extraterri­toriale d’une législatio­n adoptée par un pays tiers, ainsi que des actions fondées sur elle ou en découlant». Celui-ci manque en effet d’une capacité d’interventi­on. D’où la volonté de créer un office de contrôle des actifs étrangers américains et de défendre, au niveau de l’UE, la mise sur pied d’une banque d’aide à l’exportatio­n. Deux projets difficiles, toutefois, à concrétise­r rapidement.

Pour Paris, ce débat sur l’impact des sanctions américaine­s en Iran est incontourn­able dans les discussion­s en cours à Bruxelles sur l’instaurati­on d’une taxe sur le chiffre d’affaires des géants américains du numérique. Poussé par Bruno Le Maire, qui a plusieurs fois menacé de l’instaurer par défaut au niveau français, ce projet de taxe patine en raison des réticences allemandes. «Avec l’administra­tion Trump, seule la fermeté économique et industriel­le paiera», claironnai­ent, mardi, les diplomates français après la réunion des entreprise­s impliquées en Iran. Problème: le marteau américain existe. Pas le bouclier français.

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(FRANCOIS MORI/AP)

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