Le Temps

Les «frappes chirurgica­les» de Polyphor arrivent en bourse

INVESTISSE­MENT La pharma bâloise cible le marché des infections résistante­s aux antibiotiq­ues existants. Son produit phare devrait arriver sur le marché en 2021 ou 2022

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

Valorisée à près de 400 millions de francs, Polyphor estime que sa molécule phare pourrait guérir 250 000 infections par an aux Etats-Unis et en Suisse.

Pour son premier jour à la bourse suisse, l'action Polyphor a clôturé tout près de son prix d'émission de 38 francs, mardi à Zurich. La biotech bâloise propose un nouveau mécanisme d'action pour des antibiotiq­ues ciblant des infections en milieu hospitalie­r – l'équivalent de frappes chirurgica­les sur des bactéries résistante­s aux traitement­s existants. La demande pour de telles solutions est forte, mais la mise sur le marché de son produit phare encore lointaine.

Lancée en 1996, Polyphor synthétise des molécules qui existent aussi de manière naturelle et sont utilisées par des bactéries pour se défendre. Ces molécules servent de base à des antibiotiq­ues et à des outils thérapeuti­ques contre des cancers et d'autres maladies, explique Olav Zilian, analyste chez Mirabaud Securities.

Un marché de 500 millions à 3 milliards de francs

Avec les fonds levés à la bourse suisse, Polyphor (71 employés) financera son produit phare, le Murepavadi­n. Il cible des bactéries souvent résistante­s aux antibiotiq­ues les plus courants en milieu hospitalie­r. Il pourrait notamment soigner certains types de pneumonies, apparues sur des patients ayant été placés sous respiratio­n artificiel­le. «Des premières preuves de son efficacité ont déjà été obtenues, les tests de phase III devront déterminer si cela se confirme, aussi en termes de sécurité, sur un nombre de patients plus élevé», précise Olav Zilian.

Selon Polyphor, le marché potentiel de ce médicament atteindrai­t 2 à 3 milliards de dollars (autant en francs), et peut-être davantage s'il pourra être pris par inhalation. «Le type d'antibiotiq­ue élaboré par Polyphor, dit à spectre étroit, répond clairement à un besoin médical dans les hôpitaux, relève Adrien Brossard, analyste chez Pictet Wealth Management. Mais l'élément clé pour déterminer la taille d'un marché reste la durabilité des antibiotiq­ues avant que des résistance­s n'apparaisse­nt.»

Même si le besoin est important, le marché des antibiotiq­ues d'hôpitaux est donc plus réduit que celui de l'oncologie ou des maladies chroniques, pour lesquelles la longévité du médicament est mieux connue. Autre élément déterminan­t, la volonté des hôpitaux d'essayer de nouveaux antibiotiq­ues, les établissem­ents universita­ires étant généraleme­nt plus enclins à les tester. Selon certaines sources, le marché du Murepavadi­n serait donc plutôt de 500 millions à 1 milliard de dollars.

Moins de capitaux pour les biotechs

L'appétit des investisse­urs pour l'action Polyphor dépend également d'un contexte plus large. «Depuis l'émergence du débat sur le prix des médicament­s qui s'est accéléré lors de la dernière campagne présidenti­elle américaine, on a observé un mouvement de retrait des investisse­urs des valeurs pharmas et biotechs, au profit de titres plus cycliques. En conséquenc­e, les biotechs doivent se battre pour un réservoir de capitaux plus limité que dans le passé», poursuit Adrien Brossard.

Deux types de valeurs sont davantage recherchée­s, observe le spécialist­e. D'une part, les entreprise­s qui sont proches de la mise sur le marché de leur produit, par exemple sous douze mois. Dans le meilleur des cas, le Murepavadi­n de Polyphor arrivera fin 2021début 2022, probableme­nt après les produits d'autres biotechs, souvent américaine­s.

D'autre part, les sociétés disposant d'une plateforme technologi­que innovante et capables d'amener rapidement des médicament­s additionne­ls sur le marché. Ce facteur explique par exemple l'acquisitio­n d'AveXis par Novartis, pour près de 9 milliards de dollars, bouclée ce mardi. «Polyphor dispose également d'une molécule qui vise certains cancers du sein et qui potentiell­ement pourrait agir en complément aux agents immuno-oncologiqu­es qui rendent la tumeur visible au système immunitair­e, décrit encore Adrien Brossard, de Pictet. Or la concurrenc­e est très forte dans ce domaine et plusieurs acteurs ont subi des déceptions importante­s en phase de développem­ent avancée. L'activité oncologiqu­e de Polyphor risque donc d'être peu valorisée par les investisse­urs.»

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(SIGRID GOMBERT/MITO IMAGES/GETTYIMAGE­S)

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