Le Temps

Classique et jazz font la bossa

- SYLVIE BONIER @SylvieBoni­er

ALLIANCE La chanteuse Stacey Kent est venue à Genève, accompagné­e par l’OCG. Leur rencontre souligne une reconfigur­ation des genres musicaux pour élargir les publics

Quand elle arrive sur scène, petite silhouette en strict costume argenté, Stacey Kent pourrait aussi bien être une chanteuse classique. Derrière elle, l'Orchestre de chambre de Genève (OCG) se tient prêt sous la baguette de Nader Abbassi. Mais les quatre musiciens qui entourent aussi la femme aux cheveux courts et à la voix d'or rappellent qu'elle vient d'un autre monde. Le batteur Joshua Morrison, le pianiste Graham Harvey, le bassiste Jeremy Brown et le saxophonis­te Jim Tomlinson signalent que la soirée sera jazzy. Un jazz doux et caressant, aux accents de bossa-nova, qui a fait la réputation de Stacey Kent.

Lundi soir, les standards et créations originales, toujours dans l'esprit de la ballade et de la berceuse, s'avèrent trop susurrés pour la taille du Victoria Hall. La sonorisati­on déséquilib­rée dessert la voix murmurée, souvent couverte par l'orchestre. Mais le mariage entre les sonorités classiques et les divers genres (Salvador, Ferré ou Jobim en bis) fait florès. Qui a besoin de qui, dans cette liaison que d'aucuns pourraient juger dangereuse? Les deux, visiblemen­t.

S’embourgeoi­ser et s’encanaille­r

Dans l'univers du jazz, de la variété ou du rock, il s'agit de calmer le jeu. Johnny Hallyday ou Julien Clerc se sont glissés dans la brèche symphoniqu­e qu'un Sting a aussi ouverte en grand. Qu'est-ce qui les motive? Les formations classiques leur permettent d'arrondir les angles et d'adoucir les excès sonores, séduisant ainsi des oreilles plus sensibles. Cette mixité les autorise de plus à entrer dans la galaxie du genre dit «savant».

Pour le registre de la «grande» musique, c'est l'inverse. Il faut bousculer la tranquilli­té des repères, que les plus jeunes ou les moins initiés au répertoire traditionn­el goûtent peu. D'un côté on doit s'embourgeoi­ser, de l'autre s'encanaille­r. C'est devenu une nécessité. Celle de conquérir de nouveaux publics. D'élargir, de rajeunir ou de diversifie­r les attentes. D'éduquer et d'habituer, aussi.

Le concert de Stacey Kent faisait partie des hors-séries de l'OCG. «Ce n'est pas une production propre, mais une prestation pour un organisme extérieur. Ce genre d'activités représente environ la moitié de notre saison, entre nos interventi­ons avec les choeurs, festivals, concours et opéras, ou pour des programmat­eurs ayant besoin d'un orchestre classique», explique Andrew Ferguson, secrétaire général de la phalange genevoise.

Ces soirées mixtes, très suivies et appréciées, ne s'inscrivent pas dans une simple politique de séduction et ne sauraient constituer uniquement un apport financier bienvenu. «Compter sur de tels événements pour remplir nos abonnement­s serait une erreur. Cela représente plutôt une forme d'élargissem­ent des contacts. Il n'en va pas de même pour notre concert festif de Noël avec Abba. Ou nos projets à venir de croisement­s musicaux avec le tango, le folk et la musique cubaine, qui répondent à une vraie volonté de cohérence programmat­ique. Le divertisse­ment ne peut pas se faire au détriment de l'exigence qualitativ­e», souligne le responsabl­e. Le cross over et le décloisonn­ement, oui, mais avec du sens.

Comment attirer les tranches d'âge moyen aux concerts classiques? «C'est une question essentiell­e. Nous y travaillon­s d'arrache-pied avec notre chef Arie van Beek, curieux de tout et gourmand de découverte­s. Ce sujet fait partie intégrante de notre mission. Nous cherchons des formules adaptées dans une réflexion incessante, sans exclure la refonte totale des programmes.»

La chanteuse américaine Stacey Kent.

Pistes inclusives

Dans les propositio­ns originales de l'OCG, il y a les opérations «4 heures d'Arie», destinées aux familles. «En amenant leurs enfants à des concerts courts qui entrecrois­ent les genres (dessin sur sable, danse, théâtre, ciné-concert…), les jeunes parents peuvent aussi apprécier le classique autrement. Le défi est de les amener aux concerts de soirée puis de les fidéliser.»

Quelles solutions proposer? «L'aspect participat­if (le concert de smartphone­s en mars passé…) ou les programmes pédagogiqu­es du type Arche de Noé ou Dame blanche (configurat­ion spatiale plutôt que frontale…) constituen­t des pistes inclusives intéressan­tes, à condition de ne pas y perdre notre âme. La musique doit en sortir grandie.»

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