Classique et jazz font la bossa
ALLIANCE La chanteuse Stacey Kent est venue à Genève, accompagnée par l’OCG. Leur rencontre souligne une reconfiguration des genres musicaux pour élargir les publics
Quand elle arrive sur scène, petite silhouette en strict costume argenté, Stacey Kent pourrait aussi bien être une chanteuse classique. Derrière elle, l'Orchestre de chambre de Genève (OCG) se tient prêt sous la baguette de Nader Abbassi. Mais les quatre musiciens qui entourent aussi la femme aux cheveux courts et à la voix d'or rappellent qu'elle vient d'un autre monde. Le batteur Joshua Morrison, le pianiste Graham Harvey, le bassiste Jeremy Brown et le saxophoniste Jim Tomlinson signalent que la soirée sera jazzy. Un jazz doux et caressant, aux accents de bossa-nova, qui a fait la réputation de Stacey Kent.
Lundi soir, les standards et créations originales, toujours dans l'esprit de la ballade et de la berceuse, s'avèrent trop susurrés pour la taille du Victoria Hall. La sonorisation déséquilibrée dessert la voix murmurée, souvent couverte par l'orchestre. Mais le mariage entre les sonorités classiques et les divers genres (Salvador, Ferré ou Jobim en bis) fait florès. Qui a besoin de qui, dans cette liaison que d'aucuns pourraient juger dangereuse? Les deux, visiblement.
S’embourgeoiser et s’encanailler
Dans l'univers du jazz, de la variété ou du rock, il s'agit de calmer le jeu. Johnny Hallyday ou Julien Clerc se sont glissés dans la brèche symphonique qu'un Sting a aussi ouverte en grand. Qu'est-ce qui les motive? Les formations classiques leur permettent d'arrondir les angles et d'adoucir les excès sonores, séduisant ainsi des oreilles plus sensibles. Cette mixité les autorise de plus à entrer dans la galaxie du genre dit «savant».
Pour le registre de la «grande» musique, c'est l'inverse. Il faut bousculer la tranquillité des repères, que les plus jeunes ou les moins initiés au répertoire traditionnel goûtent peu. D'un côté on doit s'embourgeoiser, de l'autre s'encanailler. C'est devenu une nécessité. Celle de conquérir de nouveaux publics. D'élargir, de rajeunir ou de diversifier les attentes. D'éduquer et d'habituer, aussi.
Le concert de Stacey Kent faisait partie des hors-séries de l'OCG. «Ce n'est pas une production propre, mais une prestation pour un organisme extérieur. Ce genre d'activités représente environ la moitié de notre saison, entre nos interventions avec les choeurs, festivals, concours et opéras, ou pour des programmateurs ayant besoin d'un orchestre classique», explique Andrew Ferguson, secrétaire général de la phalange genevoise.
Ces soirées mixtes, très suivies et appréciées, ne s'inscrivent pas dans une simple politique de séduction et ne sauraient constituer uniquement un apport financier bienvenu. «Compter sur de tels événements pour remplir nos abonnements serait une erreur. Cela représente plutôt une forme d'élargissement des contacts. Il n'en va pas de même pour notre concert festif de Noël avec Abba. Ou nos projets à venir de croisements musicaux avec le tango, le folk et la musique cubaine, qui répondent à une vraie volonté de cohérence programmatique. Le divertissement ne peut pas se faire au détriment de l'exigence qualitative», souligne le responsable. Le cross over et le décloisonnement, oui, mais avec du sens.
Comment attirer les tranches d'âge moyen aux concerts classiques? «C'est une question essentielle. Nous y travaillons d'arrache-pied avec notre chef Arie van Beek, curieux de tout et gourmand de découvertes. Ce sujet fait partie intégrante de notre mission. Nous cherchons des formules adaptées dans une réflexion incessante, sans exclure la refonte totale des programmes.»
La chanteuse américaine Stacey Kent.
Pistes inclusives
Dans les propositions originales de l'OCG, il y a les opérations «4 heures d'Arie», destinées aux familles. «En amenant leurs enfants à des concerts courts qui entrecroisent les genres (dessin sur sable, danse, théâtre, ciné-concert…), les jeunes parents peuvent aussi apprécier le classique autrement. Le défi est de les amener aux concerts de soirée puis de les fidéliser.»
Quelles solutions proposer? «L'aspect participatif (le concert de smartphones en mars passé…) ou les programmes pédagogiques du type Arche de Noé ou Dame blanche (configuration spatiale plutôt que frontale…) constituent des pistes inclusives intéressantes, à condition de ne pas y perdre notre âme. La musique doit en sortir grandie.»
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