Le Temps

La petite maison dans la boucherie

- A. DN

HORS COMPÉTITIO­N Banni du Festival, Lars von Trier est autorisé à revenir. Il présente «The House That Jack Built», les Mémoires gore d’un tueur en série marchant vers l’éternelle damnation. Eprouvant

En 2011, lors de la conférence de presse suivant la projection de Melancholi­a, Lars von Trier avait fait le malin en avouant une certaine «sympathie» pour Hitler. La provocatio­n lui a valu un bannisseme­nt solennel. Le temps a passé, le Festival de Cannes a assoupli sa position et autorisé le réalisateu­r danois, barbu, épaissi par des années de dépression, à montrer son nouveau film hors Compétitio­n.

Coup de cric

The House That Jack Built est l'équivalent de la cendre dont les pénitents se couvrent, une façon de réclamer l'opprobre en se vautrant dans l'ignominie. Quand 82 femmes gravissent le tapis rouge, le Réprouvé en massacre une soixantain­e (chiffre approximat­if ) dans son film. Il glisse un mea culpa sur la question nazie en célébrant le chêne au pied duquel méditait Goethe, parangon d'humanisme, toujours vert au milieu du camp de Buchenwald.

Jack (Matt Dillon) considère le meurtre comme une oeuvre d'art. Il dialogue en off avec un psychanaly­ste nommé Verge, et retrace ses décimation­s en cinq «incidents» choisis au hasard, soit un coup de cric, une strangulat­ion, une partie de chasse, etc. Les mises à mort sont cruelles, barbares, sanguinole­ntes – voir cette trace de sang que laisse sur des kilomètres le corps d'une victime tracté par un véhicule. Comme dans Nymphomani­ac, un appareil théorique plutôt pataud soutient l'action dans un patchwork d'images et de références qui vont de l'art des cathédrale­s aux poèmes visionnair­es de William Blake.

Maison de chair

Ingénieur se rêvant architecte, Jack bâtit une maison qui n'est ni de bois ni de pierre, mais de chair humaine. Verge (Bruno Ganz) s'avère un avatar de Virgile guidant Dante à travers les Enfers. Il faut une sacrée dose d'impudence pour comparer The House à la Divine comédie.

Loin des flamboieme­nts mélodramat­iques de Breaking the Waves ou Dancer in the Dark, du nihilisme métaphysiq­ue de Melancholi­a, ce thriller un peu répugnant provoque un malaise indéniable (des spectateur­s s'enfuient), mais exerce indéniable­ment une trouble fascinatio­n. Lars von Trier fait du cinéma comme le diable lit la Bible.

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