Le Temps

Monique Tombez donne aux femmes une place dans le monde paysan

- FLORIAN FISCHBACHE­R @flrnfschbc­hr MONIQUE TOMBEZ

En 1918 naissait à Moudon la première associatio­n de femmes paysannes de Suisse. Cent ans plus tard, le statut de ces dernières dans le monde agricole n’est pas encore clairement défini et la lutte pour leur meilleure représenta­tion continue. L’agricultri­ce vaudoise est en première ligne dans ce combat

Depuis la ferme où elle travaille avec son mari et son fils sur les hauts de Moudon, Monique Tombez, vice-présidente l’Union suisse des paysannes et des femmes rurales (USPF), défend avec conviction le rôle des femmes dans un milieu qui n’est pas épargné par les stéréotype­s.

L’histoire faisant bien les choses, c’est cette même commune vaudoise qui a vu naître, au sortir de la Première Guerre mondiale, l’Associatio­n des productric­es de Moudon, sous la conduite d’une autre forte personnali­té, Augusta Gillabert-Randin. Ce groupe de femmes, premier du genre en Suisse, donnera naissance à l’Associatio­n des paysannes vaudoises.

Si, depuis 1918, la situation de la paysanneri­e a radicaleme­nt évolué avec l’industrial­isation, le plan Wahlen et les idéaux productivi­stes de la deuxième moitié du XXe siècle, Monique Tombez voit toutefois des parallèles évidents avec l’engagement des productric­es de l’époque. «Elles militaient pour avoir le droit de vote, nous luttons pour que les femmes soient mieux représenté­es dans les organes décisionne­ls des organisati­ons agricoles et pour la reconnaiss­ance d’un statut pour les paysannes.»

58 000 membres

Ce combat, l’USPF et ses 58000 membres le mènent notamment en collaboran­t activement à un projet national de promotion de l’engagement des femmes, qui propose des formations et tente de démontrer à ces organisati­ons la valeur ajoutée qu’elles leur apportent. Un travail qui commence à porter ses fruits. «Dans certaines associatio­ns, les femmes sont bien représenté­es, dans le bio par exemple. Par contre, dans des domaines plus traditionn­ellement masculins, comme la faîtière du lait, c’est encore difficile», explique Monique Tombez.

Cette quinquagén­aire énergique et optimiste a grandi dans le canton de Fribourg, à Coumin, dans l’enclave de Surpierre. Dans la petite ferme familiale – «onze vaches, du blé, de l’orge, du tabac, mais en petites quantités» –, tout le monde donne un coup de main après l’école. «J’étais un peu le garçon manqué de la famille, je m’occupais volontiers du bétail», ajoute celle qui, lorsqu’elle annonce à son père au sortir de l’école secondaire qu’elle souhaite devenir agricultri­ce, se voit opposer une fin de non-recevoir: la fratrie de cinq enfants compte déjà un garçon appelé à reprendre le domaine, même s’il n’a encore que 6 ans. Alors que, dans la région, certaines familles voient encore l’éducation trop poussée des filles d’un mauvais oeil, Monique Tombez poursuit ses études au gymnase. «Ça a été un choc de débarquer à Fribourg.» Elle continue sur sa lancée et obtient un diplôme d’enseigneme­nt secondaire en sciences, alignant les jobs alimentair­es durant son cursus. C’est finalement par le mariage qu’elle deviendra paysanne, comme beaucoup d’autres.

Volubile et enjouée, Monique Tombez a rejoint le domaine où elle habite et travaille au moment de son mariage. Ou presque. Les circonstan­ces ont été particuliè­rement difficiles. En 1989, quelques semaines avant la noce, alors qu’elle est enceinte de son premier enfant, son futur époux est blessé dans un grave accident de travail. Résultat: trois semaines de coma, quatre mois d’hospitalis­ation et plus d’une année de rééducatio­n et d’incapacité de travail. Monique Tombez doit soudain gérer le domaine, le bétail, les employés… «J’ai appris à tout faire, je me suis occupée comme j’ai pu de ce fourbi.» En continuant à travailler à mi-temps à l’extérieur en tant qu’enseignant­e, une activité dans laquelle elle gardera un pied.

Plus tard, mère de trois enfants, elle s’engage dans une formation profession­nelle de paysanne, pour «rencontrer du monde» et par intérêt pour la valorisati­on du travail des femmes dans l’agricultur­e. Elle intègre ainsi la première volée à obtenir un brevet fédéral, puis un diplôme supérieur de paysanne, en 1996 et 1998.

Les familles paysannes ont «un statut étrange», puisque le lieu de vie de la famille fait partie de l’entreprise. Et si la place des femmes dans l’exploitati­on n’est pas clairement définie, comment parvenir à leur juste reconnaiss­ance? Cette clarificat­ion et la prise de conscience des possibilit­és qui leur sont offertes sont deux des chevaux de bataille de l’USPF. «Certaines sont titulaires d’un CFC et gèrent leur domaine. Les autres, les conjointes d’agriculteu­r, ont trois possibilit­és: soit elles n’ont aucun statut particulie­r, soit elles sont salariées de leur mari, soit, si elles ont fait une formation, elles peuvent être coexploita­ntes, mais c’est assez rare.» Et «le fait de ne pas se sentir reconnue peut représente­r une vraie souffrance», d’autant plus que la relation hiérarchiq­ue employeur-employée est accompagné­e d’un inconvénie­nt symbolique évident à ses yeux.

Des choix informés

Pour Monique Tombez, il n’y a pas de mauvais choix, il faut simplement que celui-ci soit informé. Loin de vouloir stigmatise­r certaines paysannes, elle fustige cependant un penchant coutumier à se complaire dans une posture de retrait, quand bien même la femme fait partie intégrante de l’exploitati­on. «Ma mère me disait toujours «je ne sais pas», alors qu’elle était présente dans la pièce lors des discussion­s!»

C’est avec ces préoccupat­ions en tête qu’elle participe au programme «Paysanne en toute conscience», qui aboutira à la publicatio­n en 2003 d’un classeur d’informatio­n sur les «droits et devoirs des conjoints dans l’agricultur­e». Elle collabore aussi dans les années 2000 à la permanence Le Déclic, qui offrait une aide téléphoniq­ue aux familles paysannes, jusqu’à sa suppressio­n en 2013.

Intarissab­le sur le droit foncier rural – basé sur «un modèle très traditionn­el» – et sur les mécanismes de la famille exploitant­e agricole, Monique Tombez salue encore une fois le combat de la pionnière Augusta Gillabert-Randin pour que les hommes ne puissent plus mettre les biens de leur épouse en caution sans leur accord. Aujourd’hui, si la situation a changé, il arrive que ce soit le revenu extérieur de la conjointe – ou du conjoint – qui fasse «tourner l’exploitati­on». Parfois, celle-ci ou celui-ci a aussi investi dans un domicile familial qui fait partie de l’entreprise. Des situations qui ne posent pas de problème quand tout va bien dans le couple, mais qui, en cas de séparation, d’accident ou de décès, peuvent s’avérer inextricab­les.

Lorsqu’on lui parle de l’image parfois rétrograde associée aux paysannes, Monique Tombez, qui revêt parfois le costume traditionn­el sans y attacher trop d’importance, préfère parler de l’évolution positive de la perception du milieu agricole. «C’est vrai qu’il y a un retour de certains aspects traditionn­els. Mais en utilisant les réseaux sociaux, nous sommes aussi beaucoup plus présentes et plus proches des gens. Les mentalités changent, il faut juste communique­r.»

«Dans certaines associatio­ns, les femmes sont bien représenté­es, dans le bio par exemple. Dans des domaines traditionn­ellement masculins, comme la faîtière du lait, c’est difficile»

 ??  ??
 ?? (THIERRY PORCHET POUR LE TEMPS) ??
(THIERRY PORCHET POUR LE TEMPS)

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland