Nouveaux nuages sur la fiscalité des entreprises
Proposition choc à Berne: une commission du Conseil des Etats propose une nouvelle compensation sociale pour la réforme de l’imposition des entreprises. L’AVS devrait recevoir 2,1 milliards de francs supplémentaires. Mais le calendrier est très serré
La réforme des impôts des multinationales devrait être couplée avec l’injection de 2 milliards par an pour l’AVS. Un projet acrobatique qu’il faudrait boucler en six mois
Autrefois havre de stabilité fiscale, la Suisse peine à trouver la bonne formule pour son nouveau régime d’imposition des entreprises. Sous pression de l’Europe et de l’OCDE, elle doit abolir d’ici à 2019 son système actuel de taux préférentiels pour les sociétés actives à l’étranger. Une première réforme, la RIE III, a été balayée par le peuple parce que trop généreuse envers les entreprises. Une seconde réforme, le Projet fiscal 17, est en cours d’élaboration. Elle entraînerait des pertes de quelque 2 milliards de francs par an pour les caisses fédérales et cantonales. Pour rendre le projet plus populaire en cas de référendum, une coalition composée de la gauche, du PDC et des cantons romands propose de verser 2,1 milliards supplémentaires par an à l’AVS, notamment en augmentant les prélèvements sur les salaires. Le projet a été approuvé mercredi par la Commission de l’économie du Conseil des Etats.
Combiner deux projets perdants devant le peuple (fiscalité des entreprises et réforme de l’AVS) pour en faire un duo gagnant? L’idée laisse perplexes certains milieux économiques. «Je regrette l’amalgame proposé par cette commission, explique Blaise Matthey, de la Fédération des entreprises romandes. C’est un gros mélange des genres.»
«Je regrette l’amalgame proposé par cette commission. C’est un gros mélange des genres»
BLAISE MATTHEY, DIRECTEUR DE LA FÉDÉRATION DES ENTREPRISES ROMANDES
Compenser la totalité des pertes fiscales du Projet fiscal 17 (PF 17), né sur les cendres de la défunte réforme de l’imposition des entreprises (RIE III), dans l’AVS: la Commission de l’économie et des redevances du Conseil des Etats (CER-E) crée la surprise. Insatisfaite des compensations sociales proposées par le Conseil fédéral, elle a décidé, à l’unanimité, d’augmenter les moyens financiers alloués à l’AVS. Le PF 17 provoquera un manque à gagner de 1,7 à 2,1 milliards pour la Confédération et les cantons. Afin d’éviter un nouvel échec devant le peuple, le Conseil fédéral et le parlement sont convaincus qu’un volet social doit être glissé dans la nouvelle réforme.
Le gouvernement a proposé de relever de 30 francs les prescriptions minimales en matière d’allocations familiales. La CER-E a cependant pris acte du fait que cette mesure ne changerait rien dans les cantons qui appliquent des montants supérieurs aux autres. Il s’agit notamment de Vaud, Genève, Fribourg, du Valais, du Jura et de Berne. Et elle ne toucherait que les familles qui ont des enfants à charge. «Nous sommes parvenus à la conclusion que le relèvement proposé ne jouerait pas le rôle social qu’on attend de lui», résume le président de la CER-E, Pirmin Bischof (PDC/SO). La commission a cherché autre chose et pris en compte le fait que le ministre de l’Intérieur Alain Berset était lui aussi confronté à la nécessité de repêcher une réforme refusée par le peuple: celle de la prévoyance vieillesse 2020 (PV 2020). Ce compromis porte l’empreinte du PS, qui juge le «compromis acceptable», et du PDC, qui s’est empressé de s’en attribuer les mérites.
Hausse des cotisations paritaires
Alain Berset a fixé les paramètres au début de l’année. Il a séparé la réforme de l’AVS de celle du deuxième pilier, envisagé d’augmenter la TVA de 1,7 point pour financer la première et maintenu le relèvement de la retraite des femmes à 65 ans, mesure assortie de compensations. Pour le financement de ces compensations, la hausse des cotisations paritaires a été mise en discussion. C’est le point que retient la CER-E. Elle propose de verser à l’AVS le même montant que les pertes fiscales provoquées par PF 17, soit 2,1 milliards, étant donné que, à terme, le PF 17 est censé rapporter davantage de recettes aux collectivités publiques. Pour atteindre cette somme, elle souhaite augmenter les cotisations paritaires de 0,3% (0,15% pour l’employeur, 0,15% pour le salarié), attribuer à l’AVS la totalité du pourcent démographique de la TVA et relever la contribution fédérale. La première mesure rapporterait 1,2 milliard, la seconde détournerait 520 millions de la caisse fédérale vers l’AVS et la troisième aurait un coût de 385 millions pour la Confédération. Au total, le paquet ficelé par la CER-E coûterait un peu plus de 1,5 milliard à la Confédération.
La facture exacte dépendra de décisions encore à prendre pour le contenu détaillé du PF 17. La CER-E propose d’imposer les dividendes d’actionnaires qualifiés à 50% au minimum sur le plan cantonal, mais une minorité propose de relever le plafond à 70% comme l’avait proposé le Conseil fédéral. Elle souhaite aussi introduire une règle de remboursement pour l’apport de capital. Elle se déterminera encore sur ce point précis le 24 mai.
Opposition patronale
Pirmin Bischof veut croire aux chances de ce nouveau paquet. Il se dit persuadé que les compensations proposées via l’AVS sont plus solides que la hausse des allocations familiales, à laquelle l’Union suisse des arts et métiers (USAM) s’est fermement opposée. Mais l’ajout des retraites ne compromettra-t-il pas le calendrier ambitieux de PF 17, qui doit impérativement être sous toit cette année dans la mesure où les pressions internationales pour la suppression des statuts spéciaux pratiqués par certains cantons restent fortes?
La stratégie de la CER-E consistant à lier fiscalité des entreprises et AVS ne fait pas l’unanimité. Directeur de la Fédération des entreprises romandes (FER), Blaise Matthey est perplexe: «Le principe d’une compensation sociale est reconnu, Vaud a démontré que c’était nécessaire. Mais je regrette l’amalgame proposé par cette commission. Il est urgent de mettre le PF 17 sous toit et la réforme de l’AVS est aussi urgente. Mais il ne faut pas mélanger les deux. D’un côté, on prévoit de baisser l’imposition des entreprises et, de l’autre, on veut augmenter les cotisations AVS. C’est un gros mélange des genres», critique-t-il. L’USAM, economiesuisse et l’Union patronale suisse (UPS) soutiennent les correctifs apportés au PF 17, mais doutent elles aussi que le lien avec l’AVS soit judicieux. ▅