Le Temps

Une Palme pour l’exemple

- AÏNA SKJELLAUG @AinaSkjell­aug

Il y a quelque chose de pourri au royaume de Cannes, cette année. Je veux dire que c’est par le cinéma que tout a commencé, il y a quelques mois, cette libération de la parole, sexisme, #MeToo, etc. Harvey Weinstein est devenu depuis un personnage horrible et grand écran, symbole de tous les autres petits Weinstein du monde, ceux de l’art, mais aussi de l’entreprise, de la rue ou de la conjugalit­é la plus banale. Mais ce sont bien les actrices qui ont été les premières à parler, dans cette industrie qui est à la fois celle qui célèbre les plus belles des femmes et celle qui demeure la plus machiste qui soit.

Cannes, 71e festival. En cette année charnière où il s’agirait un peu de prendre date, les chiffres sont un peu tristes tout de même: 1645 films réalisés par des hommes ont été en compétitio­n jusque-là, sur la Croisette. Contre 82 réalisés par des femmes, moins de 5%. Et même cette année, la sélection, opérée par un comité de trois hommes, a choisi 18 films mâles et trois dont les réalisatri­ces sont des femmes. Elles sont moins nombreuses parmi les profession­nels de la profession, c’est vrai: les femmes pèsent seulement un gros quart de la production cinéma, en France. Mais même comme ça, le compte n’y est pas. A l’arrivée, sur 70 Palmes d’or, une seule, Jane Campion en 1993, il y a déjà vingt-cinq ans, est allée à une femme.

Pourtant je vois bien les efforts de cette édition. Une présidente féminine, ce qui donne une courte majorité de femmes dans le jury. Une montée des marches symbolique, une table ronde sur la place des femmes au cinéma, tout ça. Mais ce que je trouve pourri d’avance, c’est le rôle que l’on fait jouer, à leur corps défendant, à Eva Husson, Nadine Labaki et Alice Rohrwacher, les trois femmes de la sélection. Si aucune n’a la Palme, ce sera encore une défaite un peu molle, parce que le film de leur voisin était vraiment incontourn­able. Mais si l’une d’elles l’emporte enfin, on dira que c’est parce que c’est une femme, que le jury était présidé par une femme, que c’était l’année ou jamais (car c’est plutôt jamais, depuis 1946…), prends ça, Harvey Weinstein! Un genre de Palme d’or au rabais pour la bonne cause.

Je trouverais injuste qu’une femme ne gagne pas à Cannes en 2018. Mais je pressens déjà comment le piège des gars va se refermer sur elle. C’est aussi un tragique résumé de l’histoire de l’égalité des sexes, non?

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