Theresa May doit se battre sur plusieurs fronts
La première ministre britannique rencontre des oppositions virulentes jusque dans son propre gouvernement. Même la Chambre des Lords, d’habitude si prudente, entend amender ses projets
Vu de Bruxelles, le spectacle offert par le gouvernement britannique est affligeant. «On doit garder notre calme et être patient, confie l’un des négociateurs européens du Brexit. De notre côté, nous avons notre feuille de route. Maintenant, tout dépend de ce que veut le Royaume-Uni.»
Vingt-trois mois après le référendum sur le Brexit, Londres ne sait en effet toujours pas ce qu’il veut. Le gouvernement de Theresa May est tiraillé dans tous les sens, débattant en interne de ses objectifs. La première ministre britannique fait face à un feu serré sur trois fronts: à la Chambre des Lords, au sein du Parti conservateur et en Ecosse.
Le plus inattendu est sans doute venu de la rébellion de la Chambre haute du parlement. Cette assemblée non élue, encore partiellement héréditaire, est traditionnellement très prudente dans son opposition au gouvernement. Par convention, afin de respecter la volonté démocratique, elle ne s’oppose pas à une loi inscrite dans le programme officiel de l’exécutif.
Sur le Brexit, les «nobles Lords» (comme ils s’appellent entre eux) se sont pourtant permis de lancer quelques méchantes boules puantes en direction de Theresa May. Pendant leur examen du projet de loi sur la sortie de l’Union européenne, qui s’est terminé ce mercredi, ils ont passé quatorze amendements contre la volonté du gouvernement. A plusieurs reprises, non seulement certains Lords conservateurs sont allés contre Theresa May, mais des Lords travaillistes se sont aussi opposés aux ordres de leur propre direction, preuve que les deux camps sont profondément divisés sur le sujet.
Souveraineté économique
Deux amendements en particulier sont au coeur du casse-tête de Theresa May. Les Lords lui ont demandé de rester dans l’union douanière et dans le marché unique, les deux piliers économiques de l’Union européenne. Le sujet est au coeur du Brexit: la première ministre britannique répète qu’elle entend sortir de ces deux systèmes, afin de regagner la souveraineté économique du pays. Mais dans le même temps, elle explique qu’elle pourra éviter les «frictions» commerciales aux frontières et que l’économie n’en subira pas de conséquences.
Elle a jusqu’à présent gagné du temps en clamant que ces deux objectifs (souveraineté et économie) n’étaient pas contradictoires. Les Lords, en passant ces amendements, vont l’obliger à sortir du flou. Le projet de loi va maintenant revenir à la Chambre des communes, et le gouvernement britannique va devoir mobiliser les députés pour supprimer les modifications de la Chambre haute. Ces derniers, fortement divisés, vont devoir trancher.
Voilà pourquoi les conservateurs s’entre-déchirent ouvertement sur le sujet depuis quelques semaines. L’heure du choix a sonné. La première ministre a proposé une solution technique: un «partenariat douanier» qui répliquerait les mêmes droits de douane que ceux de l’UE, mais permettrait à terme d’en avoir des différents pour les marchandises importées au Royaume-Uni. Les spécialistes des douanes – et Bruxelles – doutent de la possibilité technique de mettre en place un tel arrangement. Mais même en l’admettant, le blocage politique est énorme.
Le propre Conseil des ministres de Theresa May a rejeté sa proposition. En désespoir de cause, la première ministre a reçu plus de 150 députés à Downing Street ces derniers jours, pour essayer de les convaincre directement du bienfondé de sa solution. Espérant dégager un compromis, le gouvernement britannique envisage désormais de publier un «livre blanc» le mois prochain, présentant les grandes lignes de son plan. Deux ans après le vote, Londres aurait alors enfin des objectifs clairs. «Ce serait une bonne chose», soupire le même négociateur européen.
Il faudra alors commencer la vraie négociation, celle avec Bruxelles. Sans compter que le parlement de Westminster n’est pas le seul à provoquer des remous. Mardi, le parlement écossais a rejeté le projet de Theresa May. Le vote est symbolique, Londres ayant le pouvoir de passer outre. Mais politiquement, cela ne vient pas simplifier les choses.
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