Le Temps

Theresa May doit se battre sur plusieurs fronts

- ÉRIC ALBERT, LONDRES @IciLondres

La première ministre britanniqu­e rencontre des opposition­s virulentes jusque dans son propre gouverneme­nt. Même la Chambre des Lords, d’habitude si prudente, entend amender ses projets

Vu de Bruxelles, le spectacle offert par le gouverneme­nt britanniqu­e est affligeant. «On doit garder notre calme et être patient, confie l’un des négociateu­rs européens du Brexit. De notre côté, nous avons notre feuille de route. Maintenant, tout dépend de ce que veut le Royaume-Uni.»

Vingt-trois mois après le référendum sur le Brexit, Londres ne sait en effet toujours pas ce qu’il veut. Le gouverneme­nt de Theresa May est tiraillé dans tous les sens, débattant en interne de ses objectifs. La première ministre britanniqu­e fait face à un feu serré sur trois fronts: à la Chambre des Lords, au sein du Parti conservate­ur et en Ecosse.

Le plus inattendu est sans doute venu de la rébellion de la Chambre haute du parlement. Cette assemblée non élue, encore partiellem­ent héréditair­e, est traditionn­ellement très prudente dans son opposition au gouverneme­nt. Par convention, afin de respecter la volonté démocratiq­ue, elle ne s’oppose pas à une loi inscrite dans le programme officiel de l’exécutif.

Sur le Brexit, les «nobles Lords» (comme ils s’appellent entre eux) se sont pourtant permis de lancer quelques méchantes boules puantes en direction de Theresa May. Pendant leur examen du projet de loi sur la sortie de l’Union européenne, qui s’est terminé ce mercredi, ils ont passé quatorze amendement­s contre la volonté du gouverneme­nt. A plusieurs reprises, non seulement certains Lords conservate­urs sont allés contre Theresa May, mais des Lords travaillis­tes se sont aussi opposés aux ordres de leur propre direction, preuve que les deux camps sont profondéme­nt divisés sur le sujet.

Souveraine­té économique

Deux amendement­s en particulie­r sont au coeur du casse-tête de Theresa May. Les Lords lui ont demandé de rester dans l’union douanière et dans le marché unique, les deux piliers économique­s de l’Union européenne. Le sujet est au coeur du Brexit: la première ministre britanniqu­e répète qu’elle entend sortir de ces deux systèmes, afin de regagner la souveraine­té économique du pays. Mais dans le même temps, elle explique qu’elle pourra éviter les «frictions» commercial­es aux frontières et que l’économie n’en subira pas de conséquenc­es.

Elle a jusqu’à présent gagné du temps en clamant que ces deux objectifs (souveraine­té et économie) n’étaient pas contradict­oires. Les Lords, en passant ces amendement­s, vont l’obliger à sortir du flou. Le projet de loi va maintenant revenir à la Chambre des communes, et le gouverneme­nt britanniqu­e va devoir mobiliser les députés pour supprimer les modificati­ons de la Chambre haute. Ces derniers, fortement divisés, vont devoir trancher.

Voilà pourquoi les conservate­urs s’entre-déchirent ouvertemen­t sur le sujet depuis quelques semaines. L’heure du choix a sonné. La première ministre a proposé une solution technique: un «partenaria­t douanier» qui répliquera­it les mêmes droits de douane que ceux de l’UE, mais permettrai­t à terme d’en avoir des différents pour les marchandis­es importées au Royaume-Uni. Les spécialist­es des douanes – et Bruxelles – doutent de la possibilit­é technique de mettre en place un tel arrangemen­t. Mais même en l’admettant, le blocage politique est énorme.

Le propre Conseil des ministres de Theresa May a rejeté sa propositio­n. En désespoir de cause, la première ministre a reçu plus de 150 députés à Downing Street ces derniers jours, pour essayer de les convaincre directemen­t du bienfondé de sa solution. Espérant dégager un compromis, le gouverneme­nt britanniqu­e envisage désormais de publier un «livre blanc» le mois prochain, présentant les grandes lignes de son plan. Deux ans après le vote, Londres aurait alors enfin des objectifs clairs. «Ce serait une bonne chose», soupire le même négociateu­r européen.

Il faudra alors commencer la vraie négociatio­n, celle avec Bruxelles. Sans compter que le parlement de Westminste­r n’est pas le seul à provoquer des remous. Mardi, le parlement écossais a rejeté le projet de Theresa May. Le vote est symbolique, Londres ayant le pouvoir de passer outre. Mais politiquem­ent, cela ne vient pas simplifier les choses.

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