Le Temps

Palma de Majorque limite la location de logis aux touristes

- FRANÇOIS MUSSEAU, MADRID

Un Airbnb à Palma de Majorque.

Les appartemen­ts loués à des vacanciers étrangers valent diverses nuisances aux autochtone­s, à commencer par une forte hausse des loyers. La capitale des Baléares a pris la tête de la résistance

En Espagne, la guerre contre les appartemen­ts touristiqu­es, ou plus exactement contre les plateforme­s qui les mettent en location, s’intensifie de manière spectacula­ire. L’an dernier, pionnière en ce domaine, la municipali­té de Barcelone avait entamé la chasse aux locations de logements sans licence destinés aux vacanciers étrangers. Et avait, au passage, imposé des sanctions record, à hauteur de 600 000 euros, aux plateforme­s Airbnb et HomeAway.

Aujourd’hui, c’est la capitale de l’archipel des Baléares, Palma de Majorque, qui prend le relais et va même plus loin que Barcelone. A partir du mois de juillet, cette ville peuplée d’environ un demi-million de personnes, très visitée, interdira à tout propriétai­re la location de son appartemen­t à des touristes. C’est une première à l’échelle nationale. Seuls ne sont pas concernés les logements isolés, ou situés en zones rustiques et industriel­les, ou encore à proximité de l’aéroport de Palma, par où arrive l’essentiel des flux pour l’ensemble de l’archipel.

Ras-le-bol citoyen

Créant aussitôt la polémique, et le rejet des formations conservatr­ices, cette mesure a été approuvée en Conseil municipal, majoritair­ement dominé par les socialiste­s et les radicaux de Podemos. Motif invoqué: protéger les résidents. Autrement dit, il s’agit de satisfaire le ras-le-bol citoyen croissant contre la massificat­ion touristiqu­e, laquelle ne se traduit pas seulement par l’omniprésen­ce des visiteurs dans les lieux publics mais encore et surtout par une hausse importante des loyers. Ces dernières années, du fait de ce phénomène, on estime que cette augmentati­on a atteint 40%. Avec les habitants de Barcelone, les citadins de Palma sont ainsi ceux qui, en Espagne, consacrent la plus grande part de leurs revenus à honorer leurs loyers mensuels. Circonstan­ce aggravante, dans les Baléares: 48% des appartemen­ts touristiqu­es se louent pendant une période allant de 6 à 8 mois.

«Cette situation est très dommageabl­e pour les locations de longue durée, souligne l’élu en charge de l’urbanisme José Hila. Car évidemment le propriétai­re gagne beaucoup plus d’argent par le biais de ces locations saisonnièr­es.» Tous, bien sûr, ne sont pas d’accord avec cette initiative. Emboîtant le pas aux formations de centre droit, Ciudadanos et Parti populaire, le directeur général d’Adigital, l’Associatio­n espagnole de l’économie numérique, José Luis Zimmermann s’insurge: «C’est une réforme idéologiqu­e. Ils pensent que leur électorat assume le discours apocalypti­que selon lequel les plateforme­s en question vont détruire la vie des quartiers. Ce n’est pas vrai.»

L’initiative de la commune de Palma, applaudie par les mouvements alternatif­s et par l’hôtellerie traditionn­elle, s’inscrit dans une démarche cohérente. En juillet 2017, le parlement régional des Baléares, lui aussi dominé par des forces de gauche, avait réformé la loi sur le tourisme en imposant un plafond de 623624 visiteurs logés dans des appartemen­ts touristiqu­es au gré des îles de l’archipel, Majorque, Minorque, Ibiza et Formentera. L’exécutif régional avait en même temps menacé les plateforme­s d’annonces d’amendes allant jusqu’à 400000 euros si elles ne retiraient pas leurs offres d’appartemen­ts sans licence. En février dernier, Airbnb a ainsi dû débourser la coquette somme de 300000 euros pour avoir désobéi à la nouvelle législatio­n. Un mois plus tard, TripAdviso­r a reçu la même sanction financière.

En juillet 2017, le pouvoir régional avait laissé toute latitude aux municipali­tés, dont celle de Palma, de mettre ces normes en applicatio­n sur leur territoire. Avec cette récente décision, la capitale veut resserrer un peu plus l’étau sur les propriétai­res d’appartemen­ts touristiqu­es. «Palma est une ville déterminée et courageuse, a affirmé le maire Antoni Noguera. Nous avons pris cette décision du point de vue de l’intérêt général.» Et l’élu en charge de l’urbanisme José Hila de préciser: «Toutes les villes européenne­s sont confrontée­s à cette transforma­tion. Il faut y mettre de l’ordre.» A l’en croire, l’importance numérique des visiteurs dans les quartiers centraux de la ville, générant du bruit et d’autres nuisances, explique la hausse importante de plaintes présentées par des habitants contre leurs voisins provisoire­s: 42 en 2014, 192 l’an dernier.

Des résultats probants

La nouvelle législatio­n imposée par le parlement régional a déjà porté ses fruits: en août 2017, on comptait une offre de quelque 20 000 appartemen­ts touristiqu­es aux Baléares, contre 11000 aujourd’hui. Autrement dit, l’épée de Damoclès des amendes fonctionne. Même dynamique à Barcelone: la capitale catalane dirigée par la maire Ada Colau, proche de Podemos, a promulgué des interdicti­ons complètes dans certaines zones ultra-touristiqu­es, comme la Sagrada Familia et le quartier Gotic.

La région valencienn­e, dont le littoral est aussi très fréquenté par des visiteurs étrangers, s’apprête à promulguer une loi donnant aux communes une ample marge de manoeuvre pour réguler la location des logements touristiqu­es, la plupart sans licence. Le Pays basque et l’archipel des Canaries comptent leur emboîter le pas. Quant à Madrid, la maire Manuela Carmena entend soumettre l’existence des appartemen­ts touristiqu­es au vote des syndics d’immeubles.

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