Le Temps

Garde partagée, le combat des pères

FAMILLE La révision du droit de l’enfant permet de généralise­r la garde alternée lors d’une séparation. Mais les pères sont déçus de la mise en applicatio­n de la loi par les tribunaux. Les représenta­nts de la justice se défendent

- MICHEL GUILLAUME, BERNE @mfguillaum­e

Les pères se rebiffent. Ils ne sont pas contents de la manière dont la justice met en oeuvre la révision du droit de garde et d’entretien de l’enfant. En mars dernier, l’associatio­n Maenner.ch, qui compte quelque 600 membres, a adopté une résolution exprimant sa déception, pour ne pas dire sa colère. Elle y exige, d’une part, que les institutio­ns «cessent de reproduire aveuglémen­t le modèle archaïque du père comme pourvoyeur de fonds». D’autre part, elle souhaite que «les mères prennent davantage part au financemen­t de l’enfant en effectuant une activité lucrative».

C’est une loi que tous les partisans de l’égalité entre femmes et hommes ont appelée de leurs voeux. La révision du droit de l’enfant est entrée en vigueur le 1er janvier 2017. Elle introduit l’obligation pour les tribunaux d’examiner la possibilit­é d’une garde alternée si le père, la mère ou l’enfant le demandent. Quinze mois plus tard, les pères déchantent: ils regrettent que les tribunaux ne respectent pas l’esprit de la loi.

Un problème de société plus que de justice

«C’est une loi progressis­te et moderne qui permet de corriger des inégalités. Mais nous constatons aujourd’hui que les juges n’envisagent pas systématiq­uement la garde partagée lors d’une séparation», déplore Gilles Crettenand, coordinate­ur de Maenner.ch. «Les institutio­ns ne font que perpétuer des stéréotype­s. La justice reste en retard sur la société», ajoute-t-il.

La réalité est plus nuancée, selon Lionel Guignard, président du Tribunal d’arrondisse­ment de La Côte à Nyon. «On ne peut pas parler de tendance avec seulement quinze mois de recul.» En fait, la garde alternée a toujours existé. Mais lorsqu’un des parents ne la voulait pas, le juge pouvait considérer cette opposition comme un motif de ne pas l’instaurer. «Désormais, ce motif n’existe plus. Si l’un des parents ou l’enfant la demandent, nous devons l’examiner d’office», précise Lionel Guignard.

Selon la jurisprude­nce du Tribunal fédéral, le juge doit évaluer si la garde alternée est conforme au bien de l’enfant, cela au vu de la situation de fait actuelle et antérieure à la séparation. Pour ce faire, il examine les capacités éducatives des parents, leur faculté à communique­r entre eux, la situation géographiq­ue et la disponibil­ité effective.

Même si le mouvement de défense des pères concède qu’il n’a pas pu établir de statistiqu­es exactes, il affirme disposer «de plusieurs dizaines de témoignage­s» motivant sa résolution. Sur le terrain, Lionel Guignard ne confirme pas: «Je ne prends ni plus ni moins de décisions en faveur d’une garde alternée.» Avant de réfuter le procès d’intention fait à la justice: «Nous n’avons aucun préjugé sociologiq­ue. Un tribunal n’a pas pour vocation d’imposer un mode de vie aux parents.»

Le plus souvent en fait, le juge ne fait qu’entériner le choix de vie que les parents avaient mis en place avant leur séparation. «Les tribunaux appliquent la règle du statu quo ante pour l’enfant lors d’une séparation, essayant de lui garantir la situation la plus similaire à celle qui prévalait», explique Me Camille Maulini, membre d’une étude – le Collectif de Défense – spécialisé­e notamment dans le droit de la famille.

«Les institutio­ns ne font que perpétuer des stéréotype­s» GILLES CRETTENAND, COORDINATE­UR DE MAENNER.CH

L’avocate genevoise ne partage pas les griefs formulés par Maenner.ch envers la justice. «Ce n’est pas uniquement un problème de tribunaux, mais de société. Il y a encore beaucoup de travail pour réaliser l’égalité dans la prise en charge de l’enfant et des tâches du ménage. C’est cela qu’il faut changer», souligne-t-elle.

Camille Maulini conteste aussi l’accusation de Maenner.ch selon laquelle les tribunaux contribuer­aient à appliquer la règle «anachroniq­ue» du 10/16 ans concernant la reprise d’un emploi par le parent ayant la garde principale de l’enfant, le plus souvent la mère. Jusqu’à présent, le Tribunal fédéral avait statué que celle-ci pouvait retravaill­er à 50% dès le moment où son enfant a 10 ans et à 100% dès qu’il a 16 ans. «Cette règle est remise en question par plusieurs cantons. Depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, à Zurich et SaintGall, les tribunaux estiment qu’un parent doit reprendre le travail à 35% dès le début de la scolarité de l’enfant, puis à 55% dès qu’il a 12 ans. Et il est fort probable que le TF ira dans cette direction dans ses prochains arrêts», relève-t-elle. «Sur ce plan, les affirmatio­ns de Maenner.ch sont fausses», ajoutet-elle.

Le cri d’alarme des pères serat-il entendu au Tribunal fédéral? Celui-ci lèvera cette semaine encore ce point d’interrogat­ion lorsqu’il se prononcera en audience publique sur la manière de fixer le montant des contributi­ons d’entretien et sur le moment où le parent qui s’occupe de l’enfant peut se remettre à travailler.

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(FARES CACHOUX POUR LE TEMPS)

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