Christine Gonzalez fait rire les vivants en faisant parler les morts
Esprit es-tu là? Celui de la journaliste romande s’exporte sur les ondes de France Inter où elle entre en communication avec une galerie de trépassés si agités qu’on a presque hâte d’aller les rejoindre là-haut
Tout est parti d’une boutade, dans les couloirs de la RTS. Mobilisée par l’actualité littéraire pour ses chroniques culturelles dans Vertigo, la journaliste se plaignait auprès de son collègue Michel Masserey de ne plus trouver le temps de relire les auteurs classiques. «Tu n’as qu’à interviewer les morts», a-t-il répliqué, sur le ton de la plaisanterie.
Début d’une immersion passionnée dans les archives de la RTS, puis d’un travail de dentellière sur les sons pour donner vie à de premiers entretiens courtois avec Françoise Sagan, Marguerite Duras, Blaise Cendrars… Avant qu’elle ne demande «à tous les copains de Vertigo» d’interviewer leurs morts préférés, pour des entretiens vidéo diffusés sur les réseaux sociaux, «L’entrevue de la mort qui tue»…
Sartre et Nabilla
Les talents médiumniques de Christine Gonzalez ont fini par traverser les frontières, et lui valoir un appel de France Inter, en pleines vacances. Et depuis novembre, elle saute chaque vendredi dans le Lausanne-Paris de 7h, avant de prendre le TGV du retour à 19h, pour interroger les morts en direct dans l’émission satirique Par Jupiter, sur France Inter. La seule consigne qu’on lui a glissée? Intéresser les morts à l’actualité des vivants. Ce qui a débridé encore plus l’imagination de la journaliste. Où l’on apprend, à son micro, que Jean-Paul Sartre écrit lui-même les tweets de Nabilla, que Marguerite Yourcenar s’étonne que quiconque puisse supporter Emmanuel Macron, ou que soeur Emmanuelle n’est pas la dernière à lever le coude dans «le bar de l’au-delà»…
«Au début, j’essayais d’être polie avec ces morts, et de ne pas les brusquer en leur faisant dire des choses qu’ils n’auraient pas dites. Et puis…» Et puis l’irrévérence patentée de Charline Vanhoenacker et Alex Vizorek, aux commandes de l’émission, ont fait de ces causeries d’outre-tombe un petit théâtre de l’absurde, où les trépassés deviennent des personnages qui peuvent disserter sur l’héritage de Johnny Hallyday ou participer sans broncher à un concours spécial «The Voice de l’au-delà»: «J’ai l’impression d’être dans un théâtre de marionnettes, s’amuse la démiurge. Côtoyer Charline Vanhoenacker, Guillaume Meurice et les autres m’aide beaucoup dans ma manière de faire de la radio, car ils ont une liberté que l’on ne s’octroie pas forcément. Ce qui m’impressionne aussi, c’est la cohérence entre leurs convictions politiques et leur manière d’être hors antenne. Quand on va déjeuner, Charline tient toujours à inviter toute l’équipe.»
Par Jupiter bat des records d’audience: un million et demi d’auditeurs, 3 millions et demi de podcasts téléchargés tous les mois, avec des courbes d’audience en lévitation perpétuelle qui valent à l’équipe un blanc-seing pour tout passer à la sulfateuse.
Ce vendredi matin, valise à roulettes pas loin, la médium sirote une orange pressée sur les bords du canal Saint-Martin, avant de filer jusqu’au paquebot de Radio France et ses 5000 employés. Elle vient de passer trois jours dans ce quartier bobo de l’est parisien, retenue pour participer à une soirée d’hommage à Pierre Desproges, où elle a livré une interview devant 1000 personnes, mais s’étonne encore de l’accueil emphatique du réceptionniste de son hôtel, qui l’a reconnue et couverte d’éloges. Chouette fille, elle lui a même laissé son numéro parce qu’il veut des conseils pour créer son podcast.
«J’adore cette ville et sa petite folie. Avoir la chance d’y travailler me donne presque l’impression de participer à la vie parisienne.» Une fois par mois, d’ailleurs, elle prolonge son déplacement le temps du week-end, en couple, en élisant chaque fois un nouvel arrondissement de résidence, pour mieux découvrir la capitale.
Et dire qu’étudiante, personne ne l’aurait convaincue de quitter Fribourg, «la plus belle ville du monde», où elle a tant aimé
grandir, bercée par la sensation rassurante que tout le monde s’y connaît. Un déménagement dû à son recrutement à la RTS plus tard, elle aime la dolce vita lausannoise, surtout quand il fait beau et que les apéros se prennent au bord du lac. Dernièrement, elle a aussi découvert qu’elle aimait la grève des cheminots français. «Oui, c’est devenu plus compliqué de venir, et je sais que ça perturbe la vie de certains, mais c’est passionnant d’être témoin, cinquante ans après Mai 68, de ces mouvements sociaux qui racontent tellement la France et donnent une belle idée de la solidarité. Parce que les cheminots ne se battent pas pour leur statut, qu’ils vont garder, mais pour les générations futures. Et puis j’aime l’idée qu’il y ait du bordel, ça me rassure», rit-elle.
Les fonds de Jacques Chancel
Cet été, elle sera un peu plus Parisienne en animant, toujours sur Inter, sa propre émission chaque samedi, de 12 à 13 h, entourée de personnalités venues raconter leur adolescence. Une période de la vie qui la fascine au point d’avoir produit, pour la RTS, WhatsPop, des interviews d’ados de 15-20 ans sur leurs préférences culturelles.
En attendant sa plongée dans les souvenirs Clearasil des vivants, elle continue de passer environ huit heures à écouter les morts pour en tirer quatre minutes de chroniques. Et confie être arrivée au paradis depuis qu’on lui a octroyé un accès illimité aux entretiens de feu Jacques Chancel, et son émission Radioscopie. «J’apprends tellement de ces archives. Par exemple que les discussions, colères et vulnérabilités étaient déjà les mêmes, il y a 50 ans. Ça m’a décomplexée aussi dans ma manière de mener des entretiens sur Vertigo. Parce que je m’interroge toujours sur ce qu’on peut demander ou pas à quelqu’un, et j’avais l’impression que nous, les journalistes, étions devenus un peu cons dans notre façon de traiter l’actualité. Mais ils posaient des questions mille fois plus intimes à l’époque. Jacques Chancel demandait à Léo Ferré: «Est-ce que vous trompez votre femme?» On est beaucoup moins putassiers aujourd’hui…»
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«Au début, j’essayais d’être polie avec ces morts, et de ne pas les brusquer en leur faisant dire des choses qu’ils n’auraient pas dites. Et puis…»