Le Temps

Face à la Suède, le hockey suisse expériment­e le goût doux-amer

Le rêve du premier titre mondial pour le hockey suisse est passé. La Suède l’a emporté aux tirs au but (3-2). Il s’en est fallu d’un souffle, mais il restera celui de l’épopée

- LAURENT FAVRE @LaurentFav­re

En ce lundi de Pentecôte, l’amateur suisse de sport s’est réveillé avec dans la bouche un goût qui lui était jusqu’alors inconnu. A l’amertume de la défaite se mêlait quelque chose d’autre, de plus doux, de presque agréable. Ce n’était pas de la Schadenfre­ude, c’était même tout l’inverse. Une tristesse d’où émergeait une sorte de petit bonheur. Le feu s’était éteint mais il restait des braises.

La veille, à Copenhague ou devant son écran, le supporter suisse a peut-être vécu son plus grand chagrin d’amour. Et même si ça fait mal, cela fait aussi du bien d’y avoir cru si fort et d’avoir vécu si intensémen­t. «C’est une joie et c’est une souffrance», dit François Truffaut de la passion amoureuse. Etre si ardent et se retrouver fanny, le fan de la Nati sait désormais ce que c’est pour l’avoir éprouvé dans sa chair.

Morgarten, le réduit et le verrou

Ces sentiments profonds ne sont d’ordinaire pas pour lui. La Suisse a souvent compté beaucoup de grands champions mais rarement de grandes équipes. En sport collectif, elle n’a été sacrée qu’en curling (qui peine à transporte­r les foules) et au niveau des jeunes (les M17 ans en 2009). En football, les matches contre l’Ukraine (Coupe du monde 2006), l’Argentine (2014), la Pologne (Euro 2016) ont marqué les esprits mais ces déceptions étaient survenues en huitième de finale, avant d’avoir vraiment eu le temps de faire monter le désir. Il y a bien sûr la victoire en Coupe Davis en 2014, sorte de coupe du monde de tennis, mais Stan Wawrinka et Roger Federer étaient tellement plus forts que leurs adversaire­s.

Ce week-end à Copenhague, c’était autre chose. L’équipe de Suisse n’était pas favorite, elle avait dû lutter, réussir deux exploits aux tours précédents contre la Finlande et le Canada. Elle s’était mise à y croire, et tout un pays avec elle, séduit par cet alliage de joueurs de NHL et de jeunes talents nationaux. Enfin, elle formait véritablem­ent une équipe. Elle résista durant 80 minutes avec bravoure, discipline et intelligen­ce à la puissance supérieure de la Suède, convoquant au passage tous les symboles nationaux, de Morgarten au réduit alpin en passant par le verrou de Karl Rappan. Seule la séance des tirs au but (là où la partie redevenait une affaire individuel­le) lui échappa. C’était magnifique et cruel, cruel mais magnifique. Le Séville 82 du hockey suisse.

Le puck du titre au bout de la crosse

Dans ce genre d’histoire, il y a toujours deux sortes de héros: celui qui n’a rien à se reprocher et celui qui va le regretter toute sa vie. Le gardien bernois Leonardo Genoni a tout fait pour retarder l’échéance, et lorsqu’il fut battu, son poteau droit le sauva à quelques secondes de la fin de la prolongati­on. Quatre minutes plus tôt, Kevin Fiala avait eu le puck du titre au bout de sa crosse. A trois mètres de la cage, alors que le défenseur Mattias Ekholm était sur les fesses, le jeune attaquant des Nashville Predators buta sur le gardien suédois Anders Nilsson. Combien de phrases vontelles désormais débuter par «Ah, si Fiala…» et ne jamais s’achever? Ce tir manqué sera peut-être nos «poteaux carrés», et avec le temps nous apprendron­s à en jouir parce que ce coup du destin manquait à notre imaginaire.

«Un jour, la Suisse sera championne du monde»

C’est le onzième sacre pour la Suède qui, au moment de disputer sa 28e finale, n’avait pas caché son déplaisir à l’idée de retrouver une équipe qu’elle avait facilement battue en poule (5-3) et plus encore facilement cinq ans plus tôt en finale (5-1). La presse regrettait à l’avance une finale à sens unique, sans suspense et donc sans saveur. Les plus avisés prévenaien­t que, grandissim­e favori, le Tre Kronor aurait tout à perdre et pas grand-chose à gagner. Voir finalement les stars suédoises sauter de joie, s’embrasser, patauger comme des gamins dans les cotillons était certes douloureux mais on pouvait aussi le prendre comme un hommage.

Une finale mondiale perdue n’est pas un supplice offert à tout le monde. Il faut d’abord construire, s’élever, s’élever encore avant de tomber

Plus loin, assis à même la glace, l’air hagard et les yeux rougis, les joueurs suisses contemplai­ent le vertige de leur désillusio­n. Le néant avait succédé au rêve. C’est le propre des grands souffles, qui peuvent embraser mais aussi moucher. Une finale mondiale perdue n’est pas un supplice offert à tout le monde. Il faut d’abord construire, s’élever, s’élever encore avant de tomber.

La Suisse, médiocre aux Jeux olympiques deux mois plus tôt, avait su repartir, portée par la foi de son entraîneur Patrick Fischer, en qui beaucoup ne croyaient déjà plus. D’abord très affecté, le Zougois a relevé la tête, souri et lancé: «Un jour, la Suisse sera championne du monde.» Lundi à l’aéroport de Zurich, une foule imposante accueillit l’équipe comme si cela était déjà le cas.

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(MARTIN ROSE/GETTY IMAGES) L’équipe suisse a résisté durant 80 minutes avec bravoure, discipline et intelligen­ce à la puissance supérieure de la Suède.

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