Le Temps

«La Poste est un acteur indispensa­ble de la numérisati­on»

Bus sans conducteur, robots de livraison, drones, vote électroniq­ue, dossiers numériques de santé: La Poste est sur tous les fronts de la numérisati­on. Ces opérations ont un visage, celui de Claudia Pletscher

- PROPOS RECUEILLIS PAR ALAIN JEANNET ET BERNARD WUTHRICH, BERNE @alainjeann­net @BdWuthrich

TECHNOLOGI­E Directrice de l’unité Développem­ent et innovation de La Poste, Claudia

Pletscher en est convaincue: du drone à l’identité numérique SwissSign en passant par le vote électroniq­ue, le géant jaune peut imprimer sa marque dans le virage numérique.

Juriste formée à Berne, à Poitiers et à la Business School de Henley au Royaume-Uni, Claudia Pletscher dirige l’unité Développem­ent et innovation de La Poste Suisse. Le Temps l’a rencontrée.

Navettes autonomes, drones et robots de livraison: pourquoi La Poste s’engage-t-elle dans la Mobilité 4.0? Le monde et les besoins de nos clients changent. Ils souhaitent que les marchandis­es qu’ils ont commandées en ligne soient livrées le plus rapidement possible. La Poste ne veut pas simplement être spectatric­e, mais plutôt pionnière et actrice de ces évolutions. Avec CarPostal, nous sommes le numéro un du transport public par route en Suisse. Si la conduite autonome s’impose comme une solution d’avenir, nous voulons occuper nous-mêmes ce créneau plutôt que le laisser aux autres. Nous ne travaillon­s jamais seuls, ni pour les navettes, ni pour les drones, ni pour les robots. Nous avons des partenaire­s, notamment des start-up, et chacun a besoin du savoir-faire de l’autre. C’est ce qui fait le succès de ces projets.

Quel bilan tirez-vous des navettes autonomes? Nous avons déjà accueilli 65 000 personnes, ce qui est énorme. Nous avons un parcours pilote de trois kilomètres à Sion avec une extension jusqu’à la gare. Une première mondiale qui implique le franchisse­ment de carrefours équipés de feux lumineux. La complexité croît sans cesse. Nos start-up partenaire­s sont notamment Navya, de Lyon, et BestMile, de l’EPFL. Nous sommes convaincus que la conduite autonome modifiera considérab­lement la mobilité et la logistique. La Poste Suisse possède d’ailleurs l’une des plus grandes flottes de véhicules électrique­s en Europe. Cela intéresse beaucoup les villes.

Et les drones? Nous avons lancé un projet pilote, il y a trois ans, en compagnie de la start-up américaine Matternet, qui fabrique des drones. Nous les avons testés à Lugano, où, depuis octobre 2017, nous effectuons le transport quotidien d’échantillo­ns de laboratoir­e entre deux hôpitaux. C’est un service commercial payant, qui convient bien à une demande de livraison d’urgence.

«Nous sommes convaincus que la conduite autonome modifiera considérab­lement la mobilité et la logistique»

Allez-vous développer cette offre ailleurs en Suisse? Oui. Plusieurs lieux sont en discussion. Lorsque nous aurons obtenu les autorisati­ons de l’Office fédéral de l’aviation civile (OFAC), nous serons prêts. J’insiste sur le fait que l’utilisatio­n de drones ou de robots est réservée à des transports très spécifique­s. Ils ne remplacent évidemment pas les facteurs, qui restent plus efficaces pour distribuer nos 18 millions d’envois quotidiens, ce qui ne pourrait pas être effectué par ces machines.

Allez-vous poursuivre les expérience­s menées avec les robots de livraison? Pas pour l’instant. Nous les avons testés pendant treize mois dans quelques communes, dont Zurich, où nous avons effectué de vraies livraisons pour un grand magasin situé au centre-ville. Les résultats sont conformes à nos attentes. Nous avons comptabili­sé 200 tours de distributi­on, représenta­nt 1000 kilomètres, sans le moindre accident. Mais il y a un fossé entre la technologi­e et la réglementa­tion. L’Office fédéral des routes (Ofrou) exige une personne accompagna­nte en permanence. Tant que c’est le cas, ce concept ne présente pas de grand intérêt pour La Poste. Peut-être cela changera-t-il un jour.

Quel est votre rôle au sein de La Poste? Il consiste à bâtir de nouveaux modèles économique­s numériques. Mon unité développe des interfaces entre les processus physiques et les processus numériques, comme le e-health ou le e-voting. Nous travaillon­s aussi sur l’internet des objets, les réseaux circulaire­s, comme la récupérati­on de capsules de café, les projets Smart City et des solutions blockchain, par exemple pour mesurer la températur­e dans les colis, dans le domaine médical.

On n’associe pas La Poste à la santé. Pourquoi s’intéresse-t-elle au domaine de l’«e-health»? Le marché de la santé est en pleine croissance et offre à La Poste des opportunit­és d’affaires intéressan­tes. C’est pourquoi nous proposons une gamme complète de prestation­s. Outre la solution de santé en ligne, cela inclut également, par exemple, des services logistique­s tels que le transport de médicament­s. La Poste fait ainsi ce qu’elle a toujours fait: transporte­r des documents confidenti­els de manière sécurisée. En Suisse, 300 millions de pièces circulent chaque année entre les médecins, les hôpitaux, les centres de santé, les pharmacies, les caisses maladie et les assurés. Le courrier postal reste le principal vecteur. Mais le courrier électroniq­ue progresse. La confidenti­alité est garantie: pas plus que les facteurs traditionn­els, notre personnel n’a pas accès et ne peut pas lire les informatio­ns entièremen­t cryptées qui circulent via notre plateforme e-health. Ces données ne sont pas utilisées à des fins quelconque­s. La Poste est leader dans le domaine du vote électroniq­ue. En se positionna­nt ainsi, n’accélère-t-elle pas la diminution du nombre de lettres? Ce marché se numérise, lui aussi, que nous le voulions ou non. Nous transporto­ns chaque année environ vingt millions d’envois liés aux votations et aux élections. Mais le vote électroniq­ue s’étend. Et nous ne sommes pas les seuls à nous y intéresser. Si nous ne le faisons pas, d’autres le feront [le canton de Genève a développé un modèle concurrent, ndlr]. Alors autant que nous proposions cela nous-mêmes. Nous restons dans notre coeur de métier: le transport sécurisé d’informatio­ns confidenti­elles.

«Avec SwissSign, nous voulons permettre aux citoyens d’avoir une seule identité numérique»

Le vote électroniq­ue est-il vraiment sûr? Aucun système n’est sûr à 100%, ni dans le monde physique ni dans l’univers numérique. La Chanceller­ie fédérale a fixé des exigences extrêmemen­t élevées. Nous les respectons. Elles sont renforcées par ce qu’on appelle «la vérifiabil­ité universell­e», qui, dans le cas très improbable où un système serait tout de même piraté, permet de détecter chaque manipulati­on dans l’urne électroniq­ue, et ce, immédiatem­ent et à 100%. En plus, chaque citoyen peut s’assurer que son bulletin de vote a été enregistré conforméme­nt à ses intentions. Cela confère à l’urne son intégrité et assure la confiance en la démocratie. C’est ce qui compte.

La Poste est à l’origine du projet d’identité numérique SwissSign. Pourquoi ce projet? Avec SwissSign, nous voulons permettre aux citoyens d’avoir une seule identité numérique pour voter, gérer leur dossier de santé, faire des transactio­ns bancaires ou commercial­es. Aujourd’hui, ils ont parfois plusieurs dizaines de codes avec des mots de passe différents, qu’ils oublient souvent. Il y a trois ans, personne ne s’intéressai­t à cela. Nous avons ainsi créé une coentrepri­se avec les CFF, que nous avons étendue à Swisscom, à des banques et à des assurances. Il y a actuelleme­nt 18 partenaire­s dans le consortium. Tous ont un grand intérêt à développer une identité numérique sûre, simple et gratuite.

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 ?? (MARCO ZANONI/LUNAX) ?? Claudia Pletscher: «Nous avons testé des drones de livraison à Lugano, où, depuis octobre 2017, nous effectuons le transport quotidien d’échantillo­ns de laboratoir­e entre deux hôpitaux.»
(MARCO ZANONI/LUNAX) Claudia Pletscher: «Nous avons testé des drones de livraison à Lugano, où, depuis octobre 2017, nous effectuons le transport quotidien d’échantillo­ns de laboratoir­e entre deux hôpitaux.»

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