Le Temps

«Tariq Ramadan n’est pas quelqu’un de violent»

Maryam, la fille aînée de Tariq Ramadan, mis en examen et incarcéré depuis le 2 février en France, explique le combat de sa famille pour faire libérer son père

- PROPOS RECUEILLIS PAR ANTOINE MENUSIER, PARIS @AntoineMen­usier

JUSTICE L’islamologu­e est incarcéré depuis le 2 février en France suite à plusieurs accusation­s de viol. Sa fille Maryam

Ramadan plaide pour sa mise en liberté, eu égard à sa santé. Elle explique également avoir l’intime conviction qu’il est innocent: «Je ne défendrais pas mon père si je pensais qu’il était un violeur.»

Maryam Ramadan, 31 ans, née à Genève mais qui réside habituelle­ment au Qatar, a répondu aux questions du Temps samedi 19 mai alors qu’elle venait, avec sa mère, de rendre visite à son père, Tariq, détenu provisoire­ment à l’hôpital carcéral de Fresnes. La Cour d’appel de Paris doit se prononcer ce mardi sur une demande de libération de l’islamologu­e accusé de viol, suite à un précédent refus, le 4 mai.

Vous sortez d’un parloir avec votre père. Dans quel état se trouve-t-il? Nous sommes contents de pouvoir le voir, parce que pendant quarante-cinq jours, à compter de sa mise en détention provisoire début février, on était resté sans nouvelles. C’est par la presse qu’on a appris qu’il avait été admis plusieurs fois en urgence à l’hôpital. Cette période a été très difficile. Là, on peut enfin lui rendre visite, ma mère et moi, trois fois par semaine.

On en est heureuses, mais c’est aussi très bouleversa­nt. Physiqueme­nt, mon père va mal, il a beaucoup maigri. Il est atteint, comme nous le savons dans la famille depuis 2014, d’une sclérose en plaques. Lui qui est entré en prison en marchant normalemen­t est maintenant handicapé et doit s’aider d’un déambulate­ur pour se déplacer. Il a de constants et violents maux de tête, de la peine à se concentrer. Il a des crampes insupporta­bles dans les jambes qui le réveillent la nuit et qui l’empêchent de dormir plus d’une ou deux heures. La prise de nombreux médicament­s le laisse vaseux. Son état de santé se détériore de jour en jour.

Moralement, comment va-t-il? Il reste fort. Il le dit lui-même: «Mentalemen­t je suis fort, mais mon physique ne tient pas.» Alors qu’il s’était rendu de son plein gré à la convocatio­n policière du 31 janvier à Paris, il a le sentiment de vivre une profonde injustice. Il est placé à l’isolement complet qui s’apparente à une torture psychologi­que. Chaque fois qu’il va prendre une douche, personne ne doit se trouver dans les couloirs. Pareil pour la promenade. Du coup, il y est souvent envoyé très tôt le matin. Par exemple, ce matin [samedi 19 mai, ndlr], les gardiens lui ont demandé de choisir entre appeler sa famille ou se rendre à la promenade. Il est déjà seul, il n’allait pas renoncer aux appels. On lui rend tout difficile. La plupart des jours, il reste entre 23h30 et 24h dans sa cellule. Il devrait avoir au moins une séance quotidienn­e de kinésithér­apie, il n’en a même pas trois par semaine.

Lit-il des livres? Ses migraines constantes ne favorisent pas la lecture. Il a relu l’autobiogra­phie de Nelson Mandela. Comme je sais qu’il aime beaucoup Malcolm X, je lui ai ramené son autobiogra­phie. Il m’a demandé aussi de lui apporter Le Capital au XXIe siècle de Thomas Piketty. Il est en train de lire l’ouvrage d’Eric Dupond-Moretti, Le dictionnai­re de ma vie, et puis bien sûr le Coran, tout le temps, d’autant plus en ce mois sacré du ramadan.

Comment vivez-vous personnell­ement cette détention provisoire? Honnêtemen­t, ma famille et moi, nous n’avons pas été préparés à vivre cela. Mon père n’a jamais rien fait de répréhensi­ble pour qu’on puisse un jour imaginer lui rendre visite dans une prison. Je ressens une grande injustice. Il ne bénéficie pas de la présomptio­n d’innocence: il est dans les faits présumé coupable, alors que ses accusatric­es bénéficien­t d’une présomptio­n de sincérité, ce n’est pas normal. De plus, il est malade. Il faut qu’on reste fort pour pouvoir se battre. Le comité de soutien à Tariq Ramadan, auquel vous participez, estime que les éléments à décharge ne sont pas pris en compte. Quels sont-ils? Parlons des plaignante­s françaises. Leurs récits sont marqués par de nombreuses incohérenc­es. Par exemple Mme Ayari, qui affirme avoir cessé tout contact avec mon père après le soi-disant viol, alors qu’elle lui a envoyé par la suite plus de 200 messages par un second compte Facebook qu’elle aurait ouvert. «Christelle», ensuite, qui a confié en 2009 à une amie qu’elle essayait de nuire à mon père. Ces éléments et d’autres nous semblent constituer pour le moins matière à réflexion pour la justice. Or elle n’en tient visiblemen­t aucun compte.

Votre père fait face à quatre plaintes pour viol, trois en France, une en Suisse, ainsi qu’à une plainte pour agression sexuelle de la part d’une Américaine. Est-ce que vous pouvez imaginer de lui pareil comporteme­nt ou cela vous paraît-il complèteme­nt fou? Ça me paraît complèteme­nt fou, bien sûr. Cela fait 31 ans que je vis avec mon père et je n’ai jamais observé chez lui la moindre violence. Vous savez comment, quand on est enfant, on pousse les parents à bout, et quand j’y repense, je crois qu’il m’a donné une seule fois une fessée. Ce n’est pas du tout quelqu’un de violent. Même lorsqu’il est fâché, il privilégie toujours la discussion. Donc, oui, tout ça me paraît totalement fou. Les accusation­s qui le visent reposent sur des allégation­s sans preuves. S’il y en avait, elles auraient déjà été produites. Peut-on, sur un autre plan, pardonner l’infidélité conjugale, si cela devait être avéré, l’une des plaignante­s, «Marie», disant en détenir la preuve? Pour commencer, personne n’est en droit de faire un procès de moralité. C’est une question qui ne regarde que mon père et ma mère. Et quand bien même il aurait fauté, il est un être humain comme nous tous. Ce n’est pas une discussion que nous avons envie d’avoir dans les médias. Votre question est importante, car elle est très révélatric­e: les gens confondent aspect juridique et aspect moral. C’est primordial de faire la différence entre les deux.

«Je ressens une grande injustice. Mon père ne bénéficie pas de la présomptio­n d’innocence»

La détention provisoire de votre père a-t-elle selon vous une dimension politique, ainsi que le dénoncent ses soutiens sur les réseaux sociaux? Oui, c’est bien l’impression que j’ai. Quand on voit le refus opposé début mai par les juges à la demande de libération faite par notre avocat, Me Marsigny, demande fondée sur de nouveaux éléments à décharge et l’état de santé aggravé de mon père, on ne peut que se poser des questions. Les deux médecins experts désignés par les juges ont estimé que son état de santé était compatible avec son maintien en détention, mais seulement sous conditions. Or, la maison d’arrêt de Fresnes où il est incarcéré n’est pas en mesure d’assurer les soins auxquels était conditionn­ée sa détention provisoire tels que des séances régulières de kinésithér­apie. Donc pourquoi le garder en prison si ce n’est pour des raisons politiques? Si vous deviez présenter votre père, que diriez-vous de lui? Comme vous le savez, c’est un conférenci­er qui se déplace beaucoup. Mes deux frères, ma soeur et moi avons vécu avec le fait qu’il est souvent absent. Mais en même temps, il a toujours privilégié la qualité à la quantité des moments partagés avec nous. On a eu de la chance qu’il soit enseignant, toutes les vacances scolaires, on les passait ensemble. C’est un père qui a toujours voulu qu’on connaisse le monde, qu’on voyage. Il m’a ouvert l’esprit sur les différente­s cultures, religions, sur la nécessité d’être proche des pauvres. C’est en faisant des voyages avec lui, notamment dans des pays majoritair­ement musulmans où les femmes sont souvent privées de droits, que j’ai entrepris des études de genre, jusqu’à l’obtention d’un master. Je n’en serais pas à défendre mon père, un soi-disant violeur, si je pensais qu’il en était un.

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(ANTOINE DOYEN POUR LE TEMPS) Maryam Ramadan: «Mon père reste fort. Il le dit lui-même: «Mentalemen­t je suis fort, mais mon physique ne tient pas.»

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