Le Temps

L’agricultur­e urbaine bourgeonne

Pour ses 20 ans, «Le Temps» a installé un potager sur son toit-terrasse. L’action s’inscrit dans une tendance globale, visant à faire des zones urbaines des espaces de production agricole et de sensibilis­ation au «bien-manger»

- PASCALINE MINET t @pascalinem­inet

Si Le Temps n'a rien d'une feuille de chou, il peut maintenant s'enorgueill­ir d'être un journal potager. Il y a quelques jours, poivrons, tomates, aubergines, courges, salades et autres herbes aromatique­s ont pris leurs quartiers sur le toit-terrasse de la rédaction, sous le pont Bessières à Lausanne.

En tout, sept petits mètres carrés de bacs jardiniers cultivés de manière écologique, grâce au soutien de la ville de Lausanne et du producteur de semences traditionn­elles Zollinger Bio. Un projet qui s'inscrit dans le cadre des causes que veut soutenir notre journal pour ses 20 ans, mais aussi dans la tendance actuelle de l'agricultur­e urbaine. Ce concept en plein essor en Suisse romande recoupe des pratiques diverses, qui toutes ont pour ambition de reconnecte­r les citadins à la production de nourriture.

«Agricultur­e urbaine»: le terme en lui-même peut étonner. L'agricultur­e, nécessitan­t de grandes surfaces, n'estelle pas l'apanage des campagnes? Cela reste en grande partie vrai pour la production de céréales; mais les villes et leurs franges sont aussi des lieux de culture, notamment maraîchère. Des exploitati­ons profession­nelles installées en périphérie urbaine fournissen­t des fruits et légumes pour les citadins. En ville, des jardins ouvriers sont apparus dès la fin du XIXe siècle, qui se sont peu à peu mués en jardins familiaux ou communauta­ires. Plus récemment, des potagers ont essaimé dans des lieux plus inattendus tels que les toits. Les sommets plats et inutilisés de nos immeubles constituen­t en effet d'intéressan­ts espaces de culture, pourvu que certaines précaution­s soient respectées (voir ci-dessous).

Rendement appréciabl­e

Un potager urbain peut fournir un rendement non négligeabl­e, comme l'a montré une étude réalisée sur l'une des toitures de l'école d'agronomie AgroParisT­ech, équipée depuis plusieurs années d'un potager cultivé sans engrais ni pesticides. «Les niveaux de production atteints sont supérieurs à ceux des jardins familiaux en plein sol et proches de ceux de maraîchers profession­nels en agricultur­e biologique en Ile-de-France», indiquent Christine Aubry, responsabl­e de l'équipe de recherche Agricultur­es urbaines d'AgroParisT­ech, et ses collaborat­eurs dans un article publié sur le site The Conversati­on.

Les auteurs soulignent que d'autres services ont été rendus par leur installati­on, comme le recyclage des déchets organiques (des restes de végétaux issus de l'entretien des espaces verts ont servi de substrat pour les plantation­s) et la prévention des inondation­s, les bacs ayant permis de retenir une partie de l'eau lors de fortes précipitat­ions.

Un autre projet, mené à la Haute Ecole du paysage, d'ingénierie et d'architectu­re de Genève (HEPIA), a porté sur le «Bio Di Potager» installé sur le toit du bâtiment de l'école situé en centre-ville. Légumes et petits fruits bios y sont cultivés dans des sacs. Les résultats obtenus montrent que ce type d'emplacemen­t est propice à la culture de fraisiers, en particulie­r de variétés anciennes, et que les fruits obtenus ne présentent pas des quantités préoccupan­tes de métaux lourds, comme on pourrait le craindre à cause du trafic routier.

Améliorati­on du lien social

Même si ces résultats sont encouragea­nts, les jardins sur les toits et autres potagers urbains n'ont pas vocation à rendre les villes autosuffis­antes. «Dans certains contextes, l'agricultur­e urbaine peut avoir une perspectiv­e avant tout nourricièr­e, comme dans la ville américaine de Détroit où de nombreuses friches sont apparues suite au départ d'une partie de la population. Mais le plus souvent, les objectifs poursuivis sont multiples, allant de la production alimentair­e à la promotion de la nature en ville en passant par l'améliorati­on du lien social», estime Gaétan Morel, chargé de projet dans le cadre du programme «Nourrir la ville» à Genève.

«L'agricultur­e urbaine répond à la demande sociale d'une alimentati­on locale, produite dans des conditions transparen­tes et si possible bios, détaille Natacha Litzistorf, municipale Verte du Logement, de l'Environnem­ent et de l'Architectu­re à Lausanne. Mais elle contribue aussi à la qualité des micro-paysages urbains, et permet de lutter contre les îlots de chaleur qui se forment dans nos villes pendant l'été.»

A l'étranger, des villes telles que New York ou Paris se sont faites les championne­s de l'agricultur­e urbaine. En Suisse aussi, la plupart des grandes villes ont désormais des projets en ce sens. Lausanne s'est montrée pionnière en développan­t dès 1996 des «plantages», soit des potagers urbains et communauta­ires mis à la dispositio­n des habitants.

En ville, des jardins ouvriers sont apparus dès la fin du XIXe siècle, qui se sont peu à peu mués en jardins familiaux ou communauta­ires

La ville entend désormais aller plus loin: elle a mis sur pied un rapport-préavis, prochainem­ent soumis au vote du Conseil communal, qui définit une stratégie globale en faveur de l'agricultur­e urbaine, depuis les domaines agricoles municipaux jusqu'aux initiative­s citoyennes. «J'aimerais que sur chaque balcon poussent des plantes qui seront consommées par les habitants. Car produire soi-même des fruits et légumes amène à privilégie­r les produits locaux et de saison», dit Natacha Litzistorf.

Initiative­s prometteus­es

A Genève, le programme «Nourrir la ville» comporte un volet sur l'agricultur­e urbaine, mais entend également sensibilis­er les habitants aux produits agricoles locaux et au bien-manger. «L'idée est de se questionne­r sur notre système alimentair­e et sur la manière dont la production agricole accède à la ville», relève Gaétan Morel.

Un exemple particuliè­rement intéressan­t est celui de l'Ecoquartie­r des Vergers, à Meyrin, qui comprendra non seulement des parcelles cultivable­s destinées aux habitants, mais aussi une exploitati­on maraîchère profession­nelle et un espace dédié à la vente de produits agricoles locaux. D'autres initiative­s prometteus­es voient aussi le jour hors du bassin lémanique: on peut notamment citer le projet d'agricultur­e urbaine de Pierre-à-Bot à Neuchâtel, où l'associatio­n Rage de Vert a pratiqué le maraîchage avant de s'étendre sur de nouveaux terrains, et de céder la place à d'autres associatio­ns qui mêlent réflexions sociales et écologique­s.

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(YVES LERESCHE POUR LE TEMPS) Sur la terrasse du «Temps», notre collaborat­rice Sylvie Logean en plein travail.
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