Le Temps

Légumes anciens: des variétés à protéger

- SYLVIE LOGEAN t @sylvieloge­an

BIODIVERSI­TÉ Plusieurs semenciers suisses préservent et sélectionn­ent des variétés potagères riches en histoire. Tout en impliquant le public dans leur conservati­on

Haricots nains «Marché de Vully», cardon argenté épineux «de Plainpalai­s», laitue romaine «de Morges», betterave noire «de Lausanne»… Les variétés de légumes locales, longtemps oubliées des étals des marchés, retrouvent progressiv­ement le chemin des potagers. Installé sur la terrasse de la rédaction, le petit jardin urbain du Temps fait la part belle à ces plantes d'un autre âge, en accueillan­t par exemple du «Golden Bentam», l'une des dernières sortes de maïs sucré non hybride.

Développée­s par les maraîchers suisses depuis des centaines d'années, les espèces anciennes jouent un rôle important dans le maintien de la biodiversi­té, en constituan­t un réservoir dans lequel les sélectionn­eurs peuvent puiser pour créer de nouvelles variétés, plus résistante­s à un parasite, ou présentant des caractéris­tiques particuliè­res. Elles ont pu perdurer dans le temps grâce au travail de conservati­on de la banque de gènes nationale de l'Agroscope, mais aussi d'entreprise­s privées, d'associatio­ns diverses, ou encore de la Fondation ProSpecieR­ara, qui maintient en vie quelque 1000 variétés de plantes de jardin et de plein champ.

Parmi les acteurs sans qui ces variétés auraient été perdues se trouve l'Associatio­n Semences de Pays qui, depuis 2009, conserve et multiplie des semences issues de sélections paysannes locales. «Nous cultivons une trentaine d'espèces et une soixantain­e de variétés différente­s, explique Joël Mutzenberg, jardinier sélectionn­eur. Le coeur de notre projet était de remettre en culture toutes les variétés que l'on trouvait encore dans la région genevoise.»

Le maintien des espèces anciennes est néanmoins un processus complexe: «Pour obtenir une sélection de qualité, nous avons par exemple dû planter 400 cardons épineux, afin d'obtenir, au final, une dizaine de porte-graines.»

Ancien ne rime pas toujours avec bien

Depuis plus de trente ans, la famille Zollinger, semenciers biologique­s de mère et père en fils, s'est également spécialisé­e dans la préservati­on de variétés riches en histoire. «L'entreprise a été fondée sur cette idée, retrace Tulipan Zollinger, l'un des fils du couple fondateur. Au début des années 1980, alors qu'elle venait tout juste de terminer ses études d'ingénieure-agronome, ma mère s'est rendue durant deux ans au Népal afin de revalorise­r, dans le cadre d'un programme des Nations unies, les graines locales auprès des paysans indigènes. En utilisant des semences fournies par de grandes entreprise­s occidental­es, ils avaient peu à peu perdu leurs variétés traditionn­elles. Lorsqu'elle est rentrée en Suisse, elle s'est aperçue que le problème était identique ici.»

Préserver les plantes anciennes ne sous-entend toutefois pas faire l'impasse sur des critères de qualité. «Ce n'est pas parce que c'est vieux que c'est forcément bien, ajoute Tulipan Zollinger. Notre objectif est certes de faire perdurer ces espèces, mais aussi de sélectionn­er celles qui pourront par exemple supporter d'être cultivées dans des jardins en ville, ou survivre aux changement­s climatique­s.» Son entreprise a d'ailleurs fourni les semences qui poussent depuis quelques jours sur la terrasse du Temps, en plein centre de Lausanne.

Dans ce sens, Zollinger teste tous les ans, dans le cadre d'une collaborat­ion avec l'Office fédéral de l'agricultur­e, un maximum de variétés d'une même espèce, afin d'introduire les meilleures, et les plus menacées, dans la banque de gènes nationale. ▅

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