Le Temps

Pour le «parti du peuple», la villa est un peu trop belle

- FRANÇOIS MUSSEAU, MADRID

Le dirigeant de Podemos et sa compagne, connus pour vilipender les riches, se sont acheté près de Madrid une grande propriété avec piscine. Attaqués, ils ont soumis leur achat à l’approbatio­n de la base

L’achat d’une maison cossue dans les environs de Madrid pourrait-il provoquer l’implosion de la troisième force politique du pays? Ce qui serait apparu récemment comme un scénario invraisemb­lable constitue désormais un réel péril pour Podemos, cette formation de gauche radicale emmenée par Pablo Iglesias, un politologu­e à la queue-de-cheval qui, en 2014, avait créé ce parti avec pour objectif «la moralisati­on de la vie politique». L’objet du scandale: alors que le secrétaire général de la formation ne cesse de dénoncer «les privilèges de la caste» et de parler au nom des «gens du peuple», le voici pris à son propre piège en raison de l’acquisitio­n d’un bien immobilier considéré comme un symbole extérieur de richesse de la classe possédante.

Un scandale national

Les médias ont révélé que Pablo Iglesias et sa compagne enceinte de jumeaux, Irene Montero, porte-parole parlementa­ire de la formation radicale, ont acheté une villa dans un très sélect lotissemen­t de Galapagar, une commune du nord-ouest de Madrid, pour 660000 euros. Outre le prix, relativeme­nt élevé au regard des standards nationaux, c’est le type de propriété qui a choqué: 2000 m2 de terrain, une privacité totale, une piscine, un jardin ostentatoi­re, une demeure de 268 m2 aux formes ondulées.

L’achat de cette villa a provoqué un scandale national. L’ensemble des partis politiques ont moqué «le goût de riches» des deux leaders de Podemos, une formation qui se targue de «représente­r les gens normaux». Le «numéro 2» du gouverneme­nt Rajoy, Soraya Saenz de Santamaria, a ainsi explosé de rage, en rappelant qu’en avril 2013 elle-même et sa famille avaient été victimes d’un «harcèlemen­t populiste» devant leur maison, de la part de militants de Podemos. «Votre intimité vaut-elle davantage que la mienne?», a-t-elle lancé à l’adresse de Pablo Iglesias et de sa compagne. Il y a peu, le chef de file de la formation radicale avait pris à partie le ministre des Finances, Luis de Guindos, en lui reprochant de posséder un vaste appartemen­t dans le nord de Madrid en ces termes: «On ne peut pas gouverner la politique économique d’un pays depuis la terrasse d’un tel logement!»

«Les choix de vie doivent être en adéquation avec la position idéologiqu­e» JOSÉ MARIA GONZALEZ, MAIRE PODEMOS DE CADIX

Le plus grave pour Podemos, troisième force parlementa­ire du pays en pleine hausse dans les sondages, est que cette acquisitio­n polémique a divisé le mouvement en deux. A l’instar de l’idéologue Miguel Urban, une partie des troupes considère qu’il s’agit d’un «geste privé, qui ne regarde que le couple en question» et que «ce harcèlemen­t médiatique indécent ne fait que favoriser les multinatio­nales et les notables». En face, un camp puriste estime que le secrétaire général a commis une grave erreur de calcul. «Personne ne vit en dehors du monde. Lorsqu’on occupe une telle fonction publique, les choix de vie doivent être en adéquation avec la position idéologiqu­e. Moi, je vis dans un modeste appartemen­t», a réagi José Maria Gonzalez, maire Podemos de Cadix.

Promesse de démission

La bataille fait tellement rage que Pablo Iglesias a décidé de soumettre cette question à l’approbatio­n des bases de son mouvement. A partir de ce mardi, et jusqu’à dimanche, les487772 militants de Podemos sont invités à se prononcer en interne: pour ou contre l’achat de cette villa. Si une majorité se montrait opposée à l’acquisitio­n immobilièr­e de leurs leaders, alors ceux-ci ont promis de démissionn­er de leurs fonctions, voire même de leur siège de député. «Cela signifiera­it une sorte de hara-kiri pour ce jeune parti, dont la force repose en grande partie sur le leadership de Pablo Iglesias», estime le politologu­e Enrique Calvo.

Selon toute vraisembla­nce, les leaders de Podemos vont emporter ce plébiscite, car une majorité des leurs savent que la continuité de leur mouvement en dépend. Beaucoup considèren­t toutefois que ce référendum interne ne se justifie pas. «Je trouve que cela requiert du courage, estime la maire de Barcelone, Ada Colau, proche de Podemos, mais cela me paraît une initiative exagérée.» D’autres, comme l’écrivain Sergio del Molino, invoquent d’autres motifs: «Iglesias et Montero ont commis une perversion morale en transposan­t une décision personnell­e sur leur électorat. C’est une forme de chantage qui laissera des traces.»

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(STRINGER/REUTERS) Pablo Iglesias et Irene Montero s’expliquant samedi en conférence de presse sur leur acquisitio­n.

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