Pierre Maudet, le retour de bâton
Le conseiller d’Etat s’est forgé une réputation de redresseur de torts et de ministre impitoyable envers ses cadres. A l’heure où lui-même affronte la tourmente, l’esprit de revanche n’est pas bien loin
C’est la dégringolade. Après avoir été porté au pinacle, voici Pierre Maudet qui tombe au rang de ministre sur le gril. Il a suffi d’un voyage ambigu et encore énigmatique à Abu Dhabi pour que sa parole et même sa probité soient publiquement mises en doute par nombre de politiques. Tous les ingrédients étaient réunis pour que cette affaire devienne explosive. Le moment délicat, bien sûr, où se négocient les dicastères et la présidence. Le soupçon du scandale là où s’enchevêtrent invitation, luxe et pouvoir. Enfin, la personnalité du conseiller d’Etat genevois qui a souvent joué au redresseur de torts et qui s’est montré impitoyable envers ceux qui dérapaient. Petit rappel historique pour mieux saisir ce retour de bâton.
Les «affaires», il connaît bien. Sur son propre site internet, Pierre Maudet mentionne ses faits d’armes. Parmi ceux-ci, il rappelle avoir, en tant que jeune conseiller municipal, «contribué à dénoncer le scandale du 25 rue du Stand». L’achat d’un immeuble à un coût largement surfait conduit le Conseil d’Etat de l’époque – c’était en 2005 – à sanctionner d’un avertissement deux magistrats de la ville de Genève (le libéral Pierre Muller et le très à gauche Christian Ferrazino) pour avoir gravement dysfonctionné. L’enquête pénale, avec perquisitions médiatisées à la clé, ne donnera rien.
Coup de sac en ville de Genève
A cette occasion, Pierre Maudet critique haut et fort les «baronnies» qui sévissent au sein d’un Conseil administratif miné par une succession d’affaires et de crises de collégialité. En 2002 déjà, alors que le Casino de Genève est en pleine déconfiture, le même Pierre Maudet demande publiquement au procureur de se saisir du dossier. Il se dit alors convaincu que la responsabilité du maire communiste, André Hédiger, ne fait plus grand doute. Lancée, la procédure pour gestion déloyale s’achèvera aussi dans les limbes.
Dès 2004, le dinosaure rouge de l’exécutif de la ville est éclaboussé par un nouveau scandale pour avoir fait sauter des amendes. Après une fin de carrière politique minée par cette affaire, André Hédiger sera condamné en 2009 à une peine pécuniaire avec sursis pour abus d’autorité. Entre-temps, profitant du coup de sac qui voit trois sortants ne pas se représenter, Pierre Maudet, étoile montante du Parti radical, entre au Conseil administratif en 2007 et gagne le surnom de «Monsieur Propre» en prenant notamment la tête du service de la voirie.
Le frémissement d’une affaire aurait pu l’atteindre fin 2005, mais il n’en a rien été. Un rapport de l’Inspection cantonale des finances conclut à d’importantes irrégularités comptables dans la gestion de «Signé-2000», l’association qui a touché quelque 8 millions pour les festivités du millénaire. Pierre Maudet était membre du comité d’organisation. Ce dernier, expliquant s’être tenu très loin des chiffres, dénonce à la justice le comptable peu transparent. L’enquête, ouverte pour gestion déloyale par un procureur général radical et menée par un juge d’instruction radical aussi (on prenait alors moins de gants), sera finalement classée à la grande satisfaction du… plaignant.
Ministre intransigeant
En 2012, la République connaît son nouveau scandale politique. Le ministre libéral Mark Muller démissionne. Empêtré dans une affaire de loyer étrangement bas et d’une bagarre où il se pose en victime avant de consentir des excuses, il se dit las de «subir d’incessantes attaques». Une élection partielle est organisée et Pierre Maudet, toujours lui, accède au Conseil d’Etat. Dans ce nouveau costume de magistrat cantonal, d’abord chargé de la Sécurité avant d’y joindre l’Economie, il se montre particulièrement intransigeant envers les cadres.
Ironie de l’histoire, c’est environ trois semaines après ce voyage controversé de novembre 2015 à Abu Dhabi, offert par un homme d’affaires libanais établi dans les Emirats, que des manifestants s’en prennent avec de l’huile de vidange au Grand Théâtre et que le numéro deux de la police en paye le prix fort. Christian Cudré-Mauroux, mis en cause pour avoir négligé des renseignements alarmants et caché certains éléments à son ministre de tutelle, est suspendu. Pierre Maudet, fâché d’avoir été amené «à raconter des salades» à la Commission de contrôle de gestion en raison d’informations lacunaires, veut une révocation. Le Conseil d’Etat tempère en optant pour une rétrogradation et la justice administrative finit par blanchir totalement le haut fonctionnaire.
Revanche policière
Ce dernier ne pourra toutefois pas retrouver sa place de chef d’Etat-major et devient un martyr aux yeux de ses nombreux fidèles en uniforme. Une police qui, à travers ses syndicats, est en guerre contre ce ministre considéré comme trop sévère, excessif dans ses réformes et, surtout, hostile aux privilèges de ces fonctionnaires pas comme les autres. Autant dire que les troupes ne lui passeront rien et surtout pas un luxueux séjour aux frais de la princesse alors que les débours des policiers sont recadrés et qu’il exige d’eux une exemplarité à toute épreuve. Le site internet du syndicat de la police judiciaire offre déjà un avant-goût de cette revanche avec une lettre au «généreux donateur inconnu», qui évoque «Banana City», suivie d’un autre texte consacré à «l’affaire Maudet», rebaptisée «Travel Gate».
Le ministre a donné des armes redoutables à ses adversaires. Il pourra méditer sur la force du symbole en lisant les mémoires de Nicolas Sarkozy, lequel évoque en ces termes les effets d’une croisière de quelques jours sur le yacht du milliardaire Vincent Bolloré: «J’aurais dû anticiper, me méfier, faire passer mon nouveau statut de président avant toutes choses. Encore aujourd’hui, je me demande comment j’ai pu commettre un tel impair.»
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CONSEILLER D’ÉTAT