Le Temps

Donald Trump – Kim Jong-un: le sommet de tous les dangers

- LIONEL FATTON MAÎTRE DE CONFÉRENCE­S, UNIVERSITÉ WEBSTER, GENÈVE

Jusqu’ici tout va bien. Les images du sommet intercorée­n de fin avril ont exhibé aux yeux du monde les discussion­s fraternell­es entre les leaders des deux pays sur le paisible avenir de la péninsule. Quelques jours auparavant, la Corée du Nord déclarait la fin de ses essais nucléaires et balistique­s. L’objectif d’une dénucléari­sation de la péninsule, entériné dans la déclaratio­n de Panmunjom du 27 avril, était rappelé par Kim Jong-un lors de son voyage surprise en Chine le 7 mai. Quatre jours plus tard, Donald Trump annonçait qu’il rencontrer­ait Kim le 12 juin à Singapour.

Comme le reflète la récente menace nord-coréenne d’annuler le sommet entre Kim et Trump, les divergence­s entre Washington et Pyongyang n’en sont pas moins flagrantes, que ce soit sur le rythme de la dénucléari­sation ou sur sa finalité. Concernant le rythme, la Corée du Nord, ainsi que son principal allié la Chine, promeut une dénucléari­sation par étapes. Les Etats-Unis veulent une dénucléari­sation expéditive s’étalant sur six à douze mois, selon certaines sources.

Ce désaccord sur le rythme tient principale­ment à la différence de système politique. Les Etats-Unis sont une république fédérale dans laquelle l’élection présidenti­elle dicte l’agenda politique de l’exécutif. Une victoire sur le plan diplomatiq­ue donnerait à Trump un avantage non négligeabl­e en vue de la présidenti­elle de novembre 2020, et l’idée d’une dénucléari­sation qui s’étalerait sur six à douze mois semble indiquer que le président américain cherche une telle victoire.

La Corée du Nord et la Chine ont des régimes autoritair­es pour lesquels les échéances électorale­s sont soit inexistant­es, soit indépendan­tes de la volonté populaire. Les dynamiques politiques sont stratégiqu­es et basées sur le temps long. Par conséquent, la dénucléari­sation est perçue à Pyongyang et à Pékin non comme un objectif à court terme, mais comme un processus étendu qui permet la poursuite d’intérêts nationaux divers.

Les intérêts nord-coréens sont d’ordre économique et sécuritair­e. L’état ermite a besoin de desserrer l’étau des sanctions internatio­nales et de développer son économie. Il veut aussi des garanties fortes quant à sa sécurité nationale et à la survie de son régime. Les intérêts chinois sont essentiell­ement géostratég­iques. Par l’entremise de Pyongyang, Pékin cherche à réduire la présence militaire américaine en Corée du Sud, élément clé de ce que la Chine perçoit comme une politique d’endiguemen­t régionale.

Ces intérêts nord-coréens et chinois sont reflétés dans la déclaratio­n de Panmunjom. Cette dernière se concentre sur l’améliorati­on des relations intercorée­nnes, économique­s notamment. La question nucléaire n’est abordée qu’au treizième et dernier point, tandis que l’idée d’un «désarmemen­t par étapes» est avancée au onzième. Et le fait que ces deux points se trouvent dans une section qui évoque l’instaurati­on d’un régime de paix dans la péninsule indique que Pyongyang et Pékin pourraient conditionn­er une dénucléari­sation progressiv­e à un effort synchronis­é de Washington concernant son déploiemen­t militaire en Corée du Sud. La finalité du processus de dénucléari­sation est l’autre pomme de discorde. Les Etats-Unis exigent une «dénucléari­sation complète, vérifiable et irréversib­le» de la Corée du Nord. La déclaratio­n de Panmunjom mentionne une «dénucléari­sation complète» de la péninsule. En omettant les termes «vérifiable» et «irréversib­le», Pyongyang se positionne pour résister à des mesures de vérificati­on intrusives. En parlant de dénucléari­sation de la péninsule, et non seulement de la Corée du Nord, Pyongyang cherche à remettre en cause la protection nucléaire américaine de la Corée du Sud.

S’il a lieu, le sommet entre Trump et Kim sera un succès médiatique. Mais le risque est réel que leurs divergence­s se traduisent par un document final manquant cruellemen­t de substance. Cela aurait des conséquenc­es néfastes sur l’après-sommet, quand les négociatio­ns entreront dans le vif du sujet. Parce que les fraîchemen­t nommés secrétaire d’Etat Mike Pompeo et conseiller à la sécurité nationale John Bolton ont, par le passé, montré un manque évident de patience envers la voie diplomatiq­ue, Washington pourrait rapidement revenir à une attitude conflictue­lle, voire belligéran­te.

Jusqu’ici tout va bien, donc. Mais la marge de manoeuvre est réduite. L’enjeu est maintenant de ne pas faire plusieurs pas en arrière, après un pas dans la bonne direction.

Pyongyang cherche à remettre en cause la protection nucléaire américaine de la Corée du Sud

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