Le Temps

La Suisse en Pinocchio?

- CARMELO LAGANA SUPPLÉANT ROMAND ET RESPONSABL­E DE PROJETS, ECONOMIESU­ISSE

L’initiative de l’UDC, sur laquelle le peuple suisse sera appelé à se prononcer selon toute vraisembla­nce le 25 novembre prochain, considère que le droit internatio­nal est un danger pour notre démocratie directe. La Suisse «se soumettrai­t» de plus en plus au droit «étranger», lequel serait en contradict­ion avec le droit suisse. Est-ce le cas? Non, loin de là. Le droit internatio­nal n’est en effet pas une black box dont on ne sait rien et dont les normes s’appliquera­ient, de manière brutale et sans discussion, aux Etats. Au contraire, le droit internatio­nal est l’expression même de la souveraine­té des Etats composant la communauté internatio­nale. Et la Suisse en fait pleinement partie. Notre pays va même plus loin pour ainsi dire, puisque le peuple est consulté pour toutes les décisions importante­s qui engagent notre pays sur le plan du droit internatio­nal. Nous avons ainsi, par exemple, refusé d’adhérer à l’Espace économique européen en 1992, mais nous avons accepté d’adhérer à l’ONU en 2002.

Le droit internatio­nal n’est donc pas du droit «étranger». Et il est erroné de vouloir opposer, comme le font les auteurs de cette initiative, les règles les unes aux autres quant à leur légitimité; plusieurs professeur­s de droit l’ont d’ailleurs relevé dans le cadre du débat au parlement. La doctrine juridique en Suisse relève en effet du monisme, à savoir que les traités internatio­naux sont applicable­s du moment où ils ont été dûment ratifiés – rappelons que le parlement les examine et que le peuple peut à tout moment exprimer son avis. Mais tel n’est pas le cas de tous les pays, et notamment de l’Allemagne – pris régulièrem­ent en exemple par les partisans de cette initiative – qui s’appuie sur le dualisme (une fois ratifiés, les traités internatio­naux doivent être formelleme­nt repris par une loi interne).

En signant des accords qui sont dans son intérêt, la Suisse s’engage librement, et de manière totalement souveraine, sur le plan internatio­nal. Et comme chacun de nous le fait sur le plan privé en signant un contrat, nous nous engageons à le respecter. Nous pouvons bien entendu le résilier, mais il y a des règles à observer pour cela. On ne peut pas se contenter de dire: «Je signe ce contrat, mais je me réserve le droit de ne pas le respecter si un bon matin je n’en ai plus envie.» Et pourtant, c’est le sort que réserve l’initiative dite «pour l’autodéterm­ination» à la Suisse vis-à-vis de ses partenaire­s internatio­naux, en voulant imposer la primauté du droit suisse: devenir un Etat auquel on ne peut plus faire confiance. Remettre en question le principe du respect des engagement­s pris serait particuliè­rement problémati­que pour notre pays, qui gagne deux francs sur cinq grâce à ses échanges commerciau­x avec le monde et qui est par ailleurs protégé par le droit internatio­nal. Pour justifier la nécessité de faire primer le droit suisse sur le droit internatio­nal, les initiants affirment que les «contradict­ions» entre droit internatio­nal et droit suisse sont de plus en plus fréquentes, accusant même les juges suisses du Tribunal fédéral d’avoir une attitude bien trop conciliant­e à l’égard des normes internatio­nales. S’il est vrai que des «contradict­ions» existent, elles sont très rares. Que nous propose l’initiative pour y remédier? Inscrire dans la Constituti­on le droit de la Suisse à ne pas respecter ses engagement­s internatio­naux. Est-ce nécessaire? Non. Jusqu’à présent, pour résoudre ce genre de cas rares, la Suisse s’est montrée pragmatiqu­e en étudiant chaque situation avec soin. Cette pratique a fait ses preuves – dernier exemple en date: l’applicatio­n de l’initiative du 9 février 2014 «Contre l’immigratio­n de masse», où le parlement a adopté une législatio­n respectueu­se de nos engagement­s internatio­naux – et donne satisfacti­on. La Suisse continue ainsi d’être un partenaire fiable, en qui on peut avoir confiance et dont la parole a de la valeur.

Tout cela risque de n’être plus qu’un lointain souvenir si l’initiative est adoptée. En effet, en présence d’une contradict­ion, le Conseil fédéral serait contraint de renégocier, ou «au besoin» de résilier, le traité internatio­nal concerné. Et peu importe qu’il s’agisse d’un détail ou d’une différence fondamenta­le. La parole donnée par la Suisse? Equivalent­e à celle de Pinocchio, en somme. Qui ferait alors encore confiance à la Suisse demain?

Le droit internatio­nal n’est donc pas du droit «étranger»

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