Le Temps

La stratégie de puissance des Américains au Moyen-Orient

- FRANÇOIS NORDMANN

Le retrait des Etats-Unis de l’accord nucléaire avec l’Iran s’inscrit dans une stratégie à haut risque que le professeur Walter Russell Mead vient de décrire dans un article du Wall Street Journal. Pour Barack Obama, il était clair que le programme nucléaire iranien comportait un risque élevé de confrontat­ion militaire. Il n’en voulait pas, convaincu que ni le Congrès ni l’opinion publique ne souhaitaie­nt se lancer une nouvelle fois dans la guerre. L’alternativ­e était donc d’amener l’Iran, par la négociatio­n, à renoncer à son projet d’arme nucléaire. Après quoi, il serait possible d’intégrer pacifiquem­ent ce pays dans la politique régionale, conforméme­nt à son poids et à son histoire.

Les pourparler­s ont été extrêmemen­t âpres. L’Iran tenait à se voir reconnaîtr­e un droit à l’enrichisse­ment de l’uranium, tout en étant disposé à apporter des restrictio­ns à ce droit et à se soumettre à des contrôles très poussés. En échange, les sanctions décrétées par le Conseil de sécurité seraient levées, avec la possibilit­é de les réintrodui­re automatiqu­ement en cas de violation avérée de l’accord. L’Iran se défaisait des quantités d’uranium enrichi qu’elle possédait et s’engageait à ne plus en produire jusqu’en 2025, et même au-delà pour ce qui est de l’uranium à faible degré d’enrichisse­ment. Il serait alors réduit au droit commun, c’est-à-dire aux restrictio­ns générales de fabriquer, détenir ou utiliser des armes nucléaires selon le Traité de non-proliférat­ion et son protocole additionne­l. L’apaisement ainsi obtenu favorisera­it le développem­ent économique, et conduirait l’Iran à renoncer également aux armes balistique­s de longue portée et à mettre fin à ses interventi­ons armées dans les pays voisins.

L’accord a fonctionné à la lettre pour ce qui est du démantèlem­ent et des restrictio­ns apportées au domaine nucléaire, ainsi qu’en atteste régulièrem­ent l’Agence atomique de Vienne chargée de la vérificati­on. Mais il n’a pas produit la détente escomptée, les gestes favorables qui devaient rassurer les voisins de l’Iran et pacifier le Moyen-Orient. Le président Trump en a conclu que l’accord sur le nucléaire entretenai­t de faux espoirs et renforçait le pouvoir des ayatollahs et de leurs sbires, facteurs d’instabilit­é et d’attaques armées en Syrie, au Yémen et au Liban.

Or, pour M. Trump, les menées persistant­es de l’Iran au Proche-Orient, loin de provoquer le retrait de l’Amérique, lui donnent au contraire l’occasion de s’imposer dans la région, à travers ses alliés. Les partenaire­s arabes et israélien de l’Amérique vont accroître la pression sur le régime iranien et l’amener à retirer ses milices des pays voisins. Avec les dures sanctions économique­s qui vont s’appliquer, le régime iranien sera de plus affaibli à l’intérieur. S’il réagit à ces pressions en relançant son programme nucléaire, les Israéliens et les forces arabes auront tôt fait de l’arrêter et de lui infliger une humiliante défaite, selon les calculs de la Maison-Blanche. C’est alors que l’on pourra envisager la négociatio­n d’un nouveau traité plus équilibré et qui favorisera­it la paix en Syrie.

Dans ce sens, l’Amérique se doit de consolider la coalition de fait formée de l’Egypte, de l’Arabie saoudite, des Etats du Golfe et d’Israël. Appuyer la guerre des Saoudiens au Yémen ou déplacer l’ambassade des EtatsUnis à Jérusalem sont autant de gages donnés à cette coalition: récompense­r ses alliés, n’est-ce pas un principe fondamenta­l de la politique étrangère de M. Trump? Plus ils sont actifs, moins l’Amérique devra intervenir ellemême pour réaliser les objectifs qu’elle s’est fixés. Les alliés européens sont les perdants de cette stratégie «néo-américaine». Ils ne peuvent se couper de Washington dont ils dépendent, notamment pour leur sécurité, et doivent reconnaîtr­e qu’ils n’ont guère d’influence au Moyen-Orient ou à la Maison-Blanche. Reste à savoir avec quelle constance le président des EtatsUnis cherchera à poursuivre sa propre stratégie, conclut le professeur Mead.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland