La stratégie de puissance des Américains au Moyen-Orient
Le retrait des Etats-Unis de l’accord nucléaire avec l’Iran s’inscrit dans une stratégie à haut risque que le professeur Walter Russell Mead vient de décrire dans un article du Wall Street Journal. Pour Barack Obama, il était clair que le programme nucléaire iranien comportait un risque élevé de confrontation militaire. Il n’en voulait pas, convaincu que ni le Congrès ni l’opinion publique ne souhaitaient se lancer une nouvelle fois dans la guerre. L’alternative était donc d’amener l’Iran, par la négociation, à renoncer à son projet d’arme nucléaire. Après quoi, il serait possible d’intégrer pacifiquement ce pays dans la politique régionale, conformément à son poids et à son histoire.
Les pourparlers ont été extrêmement âpres. L’Iran tenait à se voir reconnaître un droit à l’enrichissement de l’uranium, tout en étant disposé à apporter des restrictions à ce droit et à se soumettre à des contrôles très poussés. En échange, les sanctions décrétées par le Conseil de sécurité seraient levées, avec la possibilité de les réintroduire automatiquement en cas de violation avérée de l’accord. L’Iran se défaisait des quantités d’uranium enrichi qu’elle possédait et s’engageait à ne plus en produire jusqu’en 2025, et même au-delà pour ce qui est de l’uranium à faible degré d’enrichissement. Il serait alors réduit au droit commun, c’est-à-dire aux restrictions générales de fabriquer, détenir ou utiliser des armes nucléaires selon le Traité de non-prolifération et son protocole additionnel. L’apaisement ainsi obtenu favoriserait le développement économique, et conduirait l’Iran à renoncer également aux armes balistiques de longue portée et à mettre fin à ses interventions armées dans les pays voisins.
L’accord a fonctionné à la lettre pour ce qui est du démantèlement et des restrictions apportées au domaine nucléaire, ainsi qu’en atteste régulièrement l’Agence atomique de Vienne chargée de la vérification. Mais il n’a pas produit la détente escomptée, les gestes favorables qui devaient rassurer les voisins de l’Iran et pacifier le Moyen-Orient. Le président Trump en a conclu que l’accord sur le nucléaire entretenait de faux espoirs et renforçait le pouvoir des ayatollahs et de leurs sbires, facteurs d’instabilité et d’attaques armées en Syrie, au Yémen et au Liban.
Or, pour M. Trump, les menées persistantes de l’Iran au Proche-Orient, loin de provoquer le retrait de l’Amérique, lui donnent au contraire l’occasion de s’imposer dans la région, à travers ses alliés. Les partenaires arabes et israélien de l’Amérique vont accroître la pression sur le régime iranien et l’amener à retirer ses milices des pays voisins. Avec les dures sanctions économiques qui vont s’appliquer, le régime iranien sera de plus affaibli à l’intérieur. S’il réagit à ces pressions en relançant son programme nucléaire, les Israéliens et les forces arabes auront tôt fait de l’arrêter et de lui infliger une humiliante défaite, selon les calculs de la Maison-Blanche. C’est alors que l’on pourra envisager la négociation d’un nouveau traité plus équilibré et qui favoriserait la paix en Syrie.
Dans ce sens, l’Amérique se doit de consolider la coalition de fait formée de l’Egypte, de l’Arabie saoudite, des Etats du Golfe et d’Israël. Appuyer la guerre des Saoudiens au Yémen ou déplacer l’ambassade des EtatsUnis à Jérusalem sont autant de gages donnés à cette coalition: récompenser ses alliés, n’est-ce pas un principe fondamental de la politique étrangère de M. Trump? Plus ils sont actifs, moins l’Amérique devra intervenir ellemême pour réaliser les objectifs qu’elle s’est fixés. Les alliés européens sont les perdants de cette stratégie «néo-américaine». Ils ne peuvent se couper de Washington dont ils dépendent, notamment pour leur sécurité, et doivent reconnaître qu’ils n’ont guère d’influence au Moyen-Orient ou à la Maison-Blanche. Reste à savoir avec quelle constance le président des EtatsUnis cherchera à poursuivre sa propre stratégie, conclut le professeur Mead.
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