Le Temps

Baume, le beau pari déjà imparfait de Richemont

- VALÈRE GOGNIAT @valeregogn­iat

Une montre à 500 francs, équipée d’un mouvement japonais, assemblée aux Pays-Bas mais vendue par Richemont? Avant la semaine dernière, personne n’y aurait cru. Mais, mardi, le groupe genevois a déjoué les pronostics: cette pièce non «Swiss made» existe désormais et sera commercial­isée sous le nom de Baume. Plutôt habitué des sommets horlogers avec ses marques Jaeger-LeCoultre, Vacheron Constantin ou Lange & Söhne, Richemont s’aventure ainsi dans l’entrée de gamme.

Baume se présente comme une marque n’ayant recours qu’à des matériaux recyclés et des composants non animaux (un bracelet en PET plutôt qu’en cuir, par exemple). Sa présence exclusive sur internet et son segment de prix (500-1000 francs) laissent à penser qu’elle vise une clientèle jeune – les fameux millennial­s – et ambitionne de souffler des parts de marché aux marques de mode comme Daniel Wellington. Ou aux dizaines de petites pousses qui émergent chaque semaine sur les plateforme­s de financemen­t participat­if.

Projet développé en dix-huit mois

Son nom l’indique: il s’agit en fait d’une sorte de défluent de Baume et Mercier, seule marque de Richemont arrimée au segment 1500-2500 francs. Les liens exacts entre les deux structures restent flous – et c’est vraisembla­blement voulu. Officielle­ment, «Baume trouve ses racines, son histoire et son héritage chez Baume et Mercier, [sa] compagnie mère, mais nous avons une autre approche de l’horlogerie». Officieuse­ment, le projet a été développé en dix-huit petits mois par les équipes de Baume et Mercier et supervisé par son numéro 1, Alain Zimmermann. C’est encore assez largement eux qui en assurent le fonctionne­ment depuis le campus genevois de Richemont.

On explique à l’interne que la marque est née pour répondre à trois tendances fortes de consommati­on identifiée­s par le groupe. D’abord, des produits personnali­sables (une petite dizaine de clics suffit pour concevoir sa montre sur le site de Baume). Ensuite, une consommati­on responsabl­e, à laquelle la marque répond en mettant l’accent sur ses produits «respectueu­x de l’environnem­ent et créés à partir de matériaux durables, recyclés et valorisés». Enfin, le besoin d’un «outil numérique confortabl­e», permettant un achat en ligne rapide.

Il n’y a là rien de mystérieux. Richemont surfe sur des tendances perçues par d’autres horlogers. TAG Heuer s’est, par exemple, officielle­ment associé à l’atelier anglais de personnali­sation des montres Bamford en mars dernier. Chopard assure pour sa part que, dès cet été, 100% de l’or utilisé pour ses montres et bijoux sera extrait de manière durable. Et, à l’exception notable de Rolex et de Patek Philippe, tous les horlogers suisses sont aujourd’hui passés à la vente en ligne – Richemont a d’ailleurs justement bouclé jeudi le rachat de la plateforme de distributi­on en ligne Yoox Net-à-porter pour 2,89 milliards de francs.

Personnali­sation, consommati­on responsabl­e et présence en ligne. Avec Baume, Richemont a voulu faire d’une pierre trois coups. C’est une bonne idée, ce d’autant que le risque financier est pour le moins limité. La structure de l’entreprise est très légère et Richemont dispose de la force industriel­le (et des réserves de cash) pour lancer ce genre de projets. Il faut saluer cette démarche, surtout venant d’un groupe volontiers critiqué pour son inertie et sa lenteur à réagir aux tendances du marché. Cela étant dit, deux embûches reposent sur le chemin de Baume.

Deux risques pour Baume

D’abord, le prix. En choisissan­t d’abandonner le «Swiss made», le groupe Richemont a fait preuve d’une bonne dose d’agressivit­é et consenti une première petite révolution culturelle. Mais il n’aurait pas dû s’arrêter en si bon chemin et descendre encore en gamme. Vendre des montres à 100 ou 200 francs (au lieu de rester entre 500 et 1000 francs) lui aurait alors permis d’attaquer plus directemen­t des concurrent­s comme Daniel Wellington et d’augmenter encore ses volumes.

Ensuite, le nom. Il est pour le moins périlleux d’avoir adossé cette nouvelle marque à Baume et Mercier. On comprend l’idée: profiter de l’assise – qualité, crédibilit­é, savoir-faire, etc. – de la marque existante pour donner un coup d’accélérate­ur à la petite nouvelle. Mais il est premièreme­nt peu vraisembla­ble que les clients visés par Baume connaissen­t déjà Baume et Mercier; le transfert de réputation sera donc limité.

Surtout, l’image de Baume et Mercier, qui sort d’une longue traversée du désert, reste vulnérable. Le lancement réussi de son premier calibre maison en janvier dernier marquait une sorte de renouveau horloger, une bouffée d’air frais pour la marque, et le risque que l’approche commercial­e de Baume vienne porter atteinte à ce fragile équilibre est bien réel. Repartir de zéro avec un nouveau nom aurait enfin octroyé une plus grande liberté d’action à la jeune équipe pilotant la nouvelle entreprise. ▅

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