Le Temps

Ces indices qui régissent les bourses

La société MSCI va introduire les actions chinoises dans son indice et est sous pression pour faire de même avec les titres de l’Arabie saoudite

- ÉRIC ALBERT, LONDRES @IciLondres

Le 1er juin, MSCI, une entreprise américaine qui réalise des indices boursiers, va provoquer de belles célébratio­ns chez quelques entreprise­s chinoises. Ce jour-là, elle va pour la première fois introduire dans son indice des marchés émergents 234 entreprise­s listées sur les bourses chinoises. La décision, d’apparence technique, est importante: elle va pousser automatiqu­ement plus d’un milliard de dollars d’investisse­ments étrangers vers les bourses chinoises, qui sera doublé en octobre avec l’introducti­on d’une deuxième vague d’entreprise­s chinoises. Et, très probableme­nt, près de dix fois plus devrait suivre dans la foulée.

Les sociétés qui fournissen­t les indices boursiers, peu connues du grand public, ont gagné une influence très importante ces dernières années. Leurs décisions sont au coeur de la géopolitiq­ue de la finance, selon qu’elles incluent ou non un pays ou un secteur dans certains de leurs indices.

Actions chinoises trop obscures

Les règles des bourses chinoises étaient jusqu’à présent jugées trop obscures, avec d’importante­s restrictio­ns sur les capitaux étrangers. Pour suivre les marchés émergents, MSCI utilisait uniquement des entreprise­s présentes à la bourse de Hongkong. Après quatre ans de consultati­ons, il a finalement décidé de prendre en compte des sociétés cotées sur la place de Shanghai. «Nous avons un certain pouvoir (sur les marchés), mais nous n’en abusons pas», se défend Sébastien Lieblich, directeur de la recherche de MSCI.

Après la Chine, l’une des grandes questions est de savoir si l’Arabie saoudite pourrait être introduite dans l’indice des marchés émergents de MSCI. «Nous subissons tout le temps beaucoup de lobbying, de Chine, de Corée, d’ailleurs, continue Sébastien Lieblich. Nos décisions, qui sont prises sur des critères techniques, ont des répercussi­ons politiques.»

Les fournisseu­rs d’indices ne sont pas nouveaux, mais leur influence grandit. Traditionn­ellement, chaque bourse fournissai­t son indice (SMI, FTSE 100, Dow Jones Industrial Average…). Mais ceux-ci sont souvent mal conçus et ne permettent pas les comparaiso­ns internatio­nales (20 entreprise­s pour l’indice suisse, 65 pour l’américain…). Des sociétés financière­s ont donc conçu de nouveaux indices boursiers, plus facilement comparable­s.

Aux Etats-Unis, le plus connu est sans doute le S&P 500, qui couvre la majorité des grosses sociétés cotées. MSCI, historique­ment issu d’une fusion entre Morgan Stanley et Capital Group, est aujourd’hui le plus gros fournisseu­r d’indices internatio­naux sur les marchés actions. Ses indices sont désormais suivis par des fonds qui gèrent près de… 10000 milliards de dollars, quatre fois le produit intérieur (PIB) de la France.

Ils sont de plus en plus précis: indice des pays émergents, de l’Asie, de l’Asie hors Japon, des nouvelles technologi­es en Asie hors Japon… «Nous avons même un indice qui suit les entreprise­s japonaises qui promeuvent le travail des femmes», précise Sébastien Lieblich.

Les yoyos des bourses

Sur cette base, une nouvelle tendance de la gestion d’actifs est venue tout chambouler: la gestion «passive». Derrière ce barbarisme se cache un concept très simple: plutôt que de choisir de façon «active» leurs actions une à une, les gérants de fonds choisissen­t de suivre «passivemen­t» un indice boursier. L’avantage est que le coût d’un tel travail est trois ou quatre fois plus faible. Pour les investisse­urs, échaudés par les violents yoyos des bourses depuis deux décennies, c’est une façon de se rassurer: leur rendement ne sera pas forcément très élevé, mais, au moins, leur argent ne finira pas dans les poches des gérants.

Il s’agit d’une tendance de fond. Aux Etats-Unis, la gestion passive est passée d’un cinquième du marché (tous actifs confondus) à un tiers en dix ans. En Europe, sa part a doublé pendant la même période, à 15%.

En conséquenc­e, selon qu’un pays soit inclus dans un indice ou pas a des répercussi­ons sonnantes et trébuchant­es. Ainsi, l’indice pays émergents de MSCI est suivi par 1600 milliards de dollars dans le monde, dont 20% en gestion passive. La moindre modificati­on influence le mouvement de plusieurs milliards de dollars. ▅

«Nos décisions, qui sont prises sur des critères techniques, ont des répercussi­ons politiques» SÉBASTIEN LIEBLICH, DIRECTEUR DE LA RECHERCHE DE MSCI

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(ALY SONG/REUTERS) La bourse de Shanghai. L’indice de MSCI prendra aussi en compte les actions côtées sur ce marché et pas seulement celles de la bourse de Hongkong.

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