Le Temps

La Juve enchaîne les titres et nourrit le soupçon

- VALENTIN PAULUZZI, MILAN @vpauluzzi

La Juventus a remporté un septième «scudetto» consécutif sur fond de polémiques concernant l’arbitrage. «C’est même pire qu’avant», assure Luciano Moggi, ancien directeur général de la Juve, radié après le scandale du «Calciopoli» en 2006

La Juventus a dit adieu à Gianluigi Buffon et Stephan Lichtstein­er en décrochant son septième scudetto consécutif. Sa domination sur le football italien est aussi tenace que les nombreuses polémiques arbitrales qui l’entourent. Certains acteurs du milieu ne peuvent s’empêcher de penser (et d’affirmer) que si la Vieille Dame gagne, c’est parce qu’elle a les faveurs des hommes en noir. Aurelio De Laurentiis, président du Napoli (deuxième du classement à 4 points), estime ainsi que leurs décisions ont privé son équipe de 8 points cette saison et que le titre lui a été volé.

Ce climat de suspicion ravive les mauvais souvenirs de Luciano Moggi, ancien directeur général de la Juventus. Le scandale du Calciopoli, tentaculai­re affaire de désignatio­n des arbitres en Serie A qui avait valu au club turinois d’être relégué en deuxième division en 2006 et le retrait de deux scudetti, est loin d’avoir livré tous ses secrets, mais il a eu de lourdes conséquenc­es pour l’ancien dirigeant, qui a été radié du monde du football.

«Et pourtant, estime-t-il, les polémiques sont pires qu’avant, maintenant il y a le VAR et deux arbitres doivent être d’accord. C’est un problème de fond, quand vous vous appelez Juve, Milan, Inter, Roma, Napoli, etc. Les arbitres ont en tête de faire carrière, ils sont un peu lèche-bottes inconsciem­ment. Ils ne cherchent pas à vous aider, mais s’il y a une situation incertaine, ils la sifflent en votre faveur. Combien de fois ai-je pensé «espérons qu’il ne se passera rien aujourd’hui», parce que je sais comment ils fonctionne­nt.»

Obsession pour les sifflets

Agé de 81 ans et désormais consultant, Moggi avait tout de même une certaine obsession pour les sifflets. «Mais ça fait partie du métier de dirigeant, je voulais les meilleurs et pas les pires. Je n’ai jamais demandé à aucun arbitre de nous faire gagner un match, personne ne peut affirmer ça. Et la Juve n’en avait pas besoin.»

Les différente­s audiences n’ont effectivem­ent jamais réussi à démontrer la moindre manipulati­on du résultat d’une rencontre, comme l’indique ce passage des rendus du procès pénal: «Le débat, en fait, n’a pas apporté la confirmati­on de l’altération du résultat final du Championna­t de football 20042005 au bénéfice de telle ou telle équipe.» Tandis que le 2005-2006 n’a fait l’objet d’aucune enquête. Voilà pourquoi la Juventus revendique 36 titres et non les 34 du palmarès officiel. En outre, sur les 19 arbitres et juges de touche inculpés, 15 ont été acquittés, trois ont été couverts par la prescripti­on et seul Massimo De Santis a été condamné à du sursis.

«Afin de faire tenir cette affaire debout, ils ont dû trouver un arbitre qui a pourtant tout fait sauf nous aider. En cinq matches avec lui, on a eu un bilan de deux victoires, un nul et deux défaites lors de la saison incriminée», raconte Moggi, qui a décidé de défendre sa propre cause devant la Cour européenne des droits de l’homme, après avoir épuisé tous les recours possibles en Italie contre sa radiation. «Et ils ont accepté ma requête il y a dix mois, c’est un bon début, car elle aurait pu être refusée. Ils vont maintenant l’examiner, et il faudra attendre encore deux, trois ans pour le verdict définitif.»

Un long chemin de croix pour celui qui a été rayé de l’histoire du calcio, mais les regrets ne sont pas à l’ordre du jour: «Si c’était à refaire, je ne changerais rien, car je n’ai rien fait de particulie­r, j’ai juste permis à l’Italie de gagner la Coupe du monde 2006 avec mes joueurs, mon coach Marcello Lippi, et même mon kiné Aldo Esposito. La finale, c’était la Juve A (Del Piero, Camoranesi, Buffon, Cannavaro, Zambrotta) contre la Juve B (Trezeguet, Thuram, Vieira dans le camp français).»

Luciano Moggi ne nie pas le pouvoir et l’influence qu’on lui prêtait, mais il se défend: «Ce n’est pas un délit. Ce sont les compétence­s et les résultats qui vous amènent au pouvoir, tout seul vous ne faites rien si les autres ne vous l’accordent pas. J’étais considéré comme un bon dirigeant, un bon mot de ma part pouvait être bien vu par un autre club.» Des dirigeants rivaux dont les positions étaient également compromett­antes mais qui s’en sont tous sortis quasiment indemnes.

«Le «Calciopoli» est parti de Turin»

Or, contrairem­ent à ce qu’on pourrait penser, Moggi est convaincu d’avoir été touché par un tir ami. «Le Calciopoli est parti de Turin, affirme-t-il. Il y avait une question d’héritage après les décès au début des années 2000 des présidents historique­s qu’étaient Gianni et Umberto Agnelli. Nous étions sans défense et les autres se sont engouffrés.»

Pas de quoi toutefois ébranler sa relation avec la Vieille Dame puisqu’il reste un proche d’Andrea Agnelli, actuel président de la Juve, la plus dominatric­e de l’histoire de la Serie A. «La concurrenc­e n’est pas aussi relevée qu’à mon époque, mais si ce club a ressuscité, c’est parce qu’il est différent. Il est traité comme une entreprise, les joueurs ont un respect pour le maillot, les dirigeants sont doués. La Juve est simplement la mieux organisée.»

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