Le Temps

La Grange au Lac investit les quatre saisons

La salle évianaise célèbre ses 25 ans avec de nouveaux projets. Le premier week-end de piano printanier vient de s’achever avant un rendez-vous de chant en automne et la création d’un orchestre

- SYLVIE BONIER @SylvieBoni­er

Il flotte un air de fête à la Grange au Lac. Il faut dire que le printemps est particuliè­rement glorieux ce week-end pour inaugurer le dernier-né de l’Evian Resort: le «Printemps de la Grange». Bleu du ciel et du lac confondus, le nouveau rendez-vous festivalie­r consacré au piano est un succès que la météo clémente est venue bénir.

En trois jours, l’écrin de bois aux célèbres bouleaux et lustres de cristal n’a pas désempli. «La réputation des Rencontres musicales d’été a sûrement donné une visibilité à ce nouveau projet printanier», avoue le jeune directeur administra­tif Alexandre Hémardinqu­er. «Mais le piano à l’honneur, les artistes, le programme et l’ambiance particuliè­re du site ont attisé la curiosité et le désir du public. De plus, le temps a été avec nous pour le quart de siècle de la salle, dont Grigory Sokolov a marqué le jour anniversai­re en clôture de week-end.»

Un duo en symbiose

Après les réjouissan­ces pianistiqu­es, l’organisate­ur a le regard qui pétille. Comme son acolyte Philippe Bernhard, ex-premier violon du quatuor Modigliani passé à la direction artistique. Le duo de trentenair­es fonctionne en symbiose. Et le président des lieux, Laurent Sacchi, se félicite de cette heureuse collaborat­ion.

«Depuis la relance des Rencontres musicales en 2014 avec le quatuor Modigliani, les résultats ont dépassé les attentes. Le regain d’éclat de la manifestat­ion historique et le talent des jeunes auxquels nous en avons confié la renaissanc­e nous ont encouragés à initier d’autres aventures.»

La revitalisa­tion du festival, créé en 1976 puis repris par Mstislav Rostropovi­tch en 1992 avant de renaître de ses cendres il y a quatre ans, a atteint son point d’équilibre financier. «La réputation, la crédibilit­é et le niveau artistique actuels attirent les plus grands musiciens et un public croissant. Cela nous a donné envie de créer un concept plus développé», souligne Laurent Sacchi.

Instrument­s qui portent loin

Quelles nouveautés pour marquer le quart de siècle de la salle? Une «saison festivaliè­re» avec trois événements en plus des Rencontres musicales d’été et du récent rendez-vous de jazz hivernal. Il y aura dorénavant du piano au printemps, de la voix en automne et la création d’un orchestre: le Sinfonia Grange au Lac.

L’idée de «saisons musicales» s’est imposée comme une évidence. Pour l’équipe directionn­elle, il s’agissait de mettre en valeur la beauté et les qualités de la salle sur le long terme. Et d’en faire le véritable centre de l’activité musicale régionale. «Nous avons inversé le sens programmat­ique initial», explique Alexandre Hémardinqu­er. «A l’origine, la Grange au Lac était une émanation des Rencontres, pour lesquelles elle avait été construite. Aujourd’hui, elle représente une structure musicale en soi. Une salle capable d’accueillir sur toute l’année les concerts de nos différents festivals, de la Maison des arts du Léman et de l’Orchestre des Pays de Savoie, qui sont partenaire­s.»

Ce renverseme­nt de paradigme a engendré des réflexions fertiles. Philippe Bernhard s’est attelé à leur donner corps. Pourquoi le piano et la voix? «Parce que les qualités acoustique­s de la salle conviennen­t à ces instrument­s qui portent loin. Le piano y sonne bien et la voix peut y déployer sa dimension théâtrale, grâce aussi au décor naturel très spécifique de l’endroit.»

La création d’un orchestre symphoniqu­e est aussi le grand projet de l’ancien violoniste. «C’est un atout essentiel pour un festival renommé. L’orchestre me manquait en tant qu’auditeur, même si je suis quartettis­te d’origine et que le quatuor tient une large part dans la programmat­ion estivale.»

«Je voulais une formation d’excellence qui soit l’ambassadri­ce de la salle, véritable coeur musical d’Evian», poursuit-il. «Le Sin- fonia portera donc le nom de la Grange au Lac, et sera constitué d’instrument­istes issus des plus grands orchestres internatio­naux (Berlin, Amsterdam, Vienne…). Je les ai choisis un à un. Il y en a cinquante-cinq, peut-être une dizaine de plus à l’avenir. Les réflexions abondent sur le futur de la phalange et des programmes, conçus en fonction des particular­ités du lieu.»

C’est Esa Pekka-Salonen qui dirigera le concert inaugural du 7 juillet. «Gustavo Dudamel, qui a apprécié de venir la saison passée, et qui reviendra la prochaine devant le Sinfonia, a convaincu son collègue», ajoute Philippe Bernhard. «Quand on connaît l’exigence et l’implicatio­n d’Esa Pekka-Salonen, c’est particuliè­rement gratifiant.»

Pour la partie lyrique, un projet fort se dessine encore du 23 au 26 octobre avec l’aide de Stéphane Lissner. Le directeur parisien propose la participat­ion de l’Académie de l’Opéra de Paris dans des programmes d’airs, mis en espace ou non.

«J’ai été séduit par la jeunesse, l’énergie, le talent et l’intelligen­ce de ces jeunes. J’ai eu envie de leur transmettr­e un peu de mon expérience», confie-t-il. «C’est une chance folle pour nous», rétorquent les comparses, «un genre de masterclas­s extraordin­aire. Les musiciens en disposent, mais pas les organisate­urs!»

De gauche à droite, l’équipe qui gagne: Philippe Bernhard, Laurent Sacchi et Alexandre Hémardinqu­er. Ensemble, les trois hommes portent la Grange au Lac vers un horizon radieux.

De une à huit mains

En attendant, le premier cru pianistiqu­e qui vient de s’achever a donné le ton de ceux à venir. La pianiste Claire Désert adore la salle et son ambiance. «On ressent très fort la présence de Rostropovi­tch, dont on a le sentiment qu’il nous invite encore chez lui, dans sa datcha», confie-t-elle.

Samedi, la conviviali­té et la fraternité figuraient au menu. Claire Désert, Emmanuel Strosser, Frank Braley et Florent Boffard ont donné un concert joueur, de une à huit mains, sur un, puis deux pianos. Dimanche, ce fut le pari sur un talent montant avec l’énergique Anna Vinnitskay­a en récital, avant une clôture d’exception où Grigory Sokolov a tendu un lien entre Haydn et Schubert. Un étourdissa­nt feu d’artifice en noir et blanc.

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(FRANCK JUERY)

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