Le Temps

L’Italie suspendue aux choix de son président, Sergio Mattarella

Le président de la République ne s’est pas encore prononcé sur Giuseppe Conte, le professeur de droit proposé par le Mouvement 5 étoiles et la Ligue au poste de premier ministre. Il entend tenir sérieuseme­nt son rôle de garant

- ANTONINO GALOFARO, ROME @ToniGalofa­ro

Le nom de Giuseppe Conte est sur le bureau du président de la République depuis lundi soir. Le Mouvement 5 étoiles (M5S) et la Ligue lui ont proposé cet avocat et professeur de droit, inconnu des Italiens encore récemment, comme candidat au poste de président du Conseil. Mais Sergio Mattarella réfléchit. Le dernier mot lui revient et, mardi soir, il n’avait pas encore tranché. Il devrait prendre la parole entre mercredi et jeudi, estiment les médias italiens. Une longue pause de réflexion qui trahit sa perplexité.

Luigi Di Maio, leader du mouvement étoilé, et Matteo Salvini, secrétaire du parti d’extrême droite, se sont entendus sur une personnali­té susceptibl­e de mettre en oeuvre leur «contrat pour le gouverneme­nt du changement». 80 jours après les élections législativ­es et suite à de nombreux blocages, les deux hommes se sont présentés devant Sergio Mattarella avec un candidat issu de longues négociatio­ns. Mais ils sont ressortis du palais présidenti­el sans la certitude que leur choix sera validé par le président.

Le rôle du chef de l’Etat est déterminan­t dans cette phase politique. Dans cette situation inédite, il doit s’assurer de l’autonomie d’un futur premier ministre pris en étau entre deux forces alliées bien différente­s. Lors de consultati­ons lundi avec le M5S puis la Ligue, il aurait rappelé à Luigi Di Maio et à Matteo Salvini le rôle de cette figure. Selon la presse transalpin­e, il leur aurait même lu l’article de la Constituti­on le déterminan­t: le président du Conseil «dirige la politique générale du gouverneme­nt et il en est responsabl­e». Comprenez: le président du Conseil ne peut pas être le simple exécutant de partis.

Une menace à peine voilée

Les deux hommes forts de la politique italienne actuelle ont suffisamme­nt joué avec la patience de Sergio Mattarella, ils l’ont admis eux-mêmes. Les Italiens en ont vu les limites une première fois début mai. Prenant acte de l’incapacité des partis de s’entendre sur la formation d’un exécutif, il avait alors proposé un gouverneme­nt technique. Mais, suite au pas de côté de Silvio Berlusconi, allié de la Ligue rejeté par les 5 étoiles, il avait accordé du temps pour la formation d’un gouverneme­nt politique M5S-Lega.

La patience du président a été de nouveau mise à l’épreuve lors de ces lentes tractation­s. Mi-mai, le chef de l’Etat a rendu hommage à son prédécesse­ur Luigi Einaudi, en expliquant qu’il n’avait pas hésité à «se servir pleinement des prérogativ­es attribuées à sa fonction». Après la chute en 1953 du gouverneme­nt d’Alcide De Gasperi, il avait écarté la requête de la Démocratie chrétienne et imposé un économiste plusieurs fois ministre comme président du Conseil. La menace de Sergio Mattarella était à peine voilée.

Le président de la République a peu de pouvoirs, mais il n’est certaineme­nt pas un «notaire», comme l’avait encore affirmé l’ancien magistrat de 76 ans lors du même discours d’hommage à son prédécesse­ur. Il est le garant de l’unité nationale et de la Constituti­on et devient essentiel en cas de crise politique. Après une élection, son rôle est celui de «facilitate­ur, comme l’arbitre d’un match», image une source au sein de la présidence, reprenant les termes du chef de l’Etat après son élection début 2015.

Député, plusieurs fois ministre, juge de la Cour constituti­onnelle, l’homme a suivi la lutte de son frère contre la mafia. En 1980, Piersanti, alors président de la Sicile, meurt dans ses bras, criblé de balles mafieuses. 35 ans plus tard, Sergio Mattarella est élu comme douzième président de la République italienne. Cependant, même le «meilleur des chefs» ne peut pas faire de miracles avec des «produits avariés», lâche la même source du haut du Quirinal, la colline romaine abritant la présidence de la République.

Le «meilleur des chefs» ne peut pas faire de miracles avec des «produits avariés» UNE SOURCE PROCHE DE LA PRÉSIDENCE

Une fois le président du Conseil validé, il aura aussi son mot à dire sur l’équipe gouverneme­ntale. La Constituti­on indique en effet que le président «nomme» les ministres «sur propositio­n» du chef de l’exécutif. Dans le même temps, le chef de l’Etat lui demandera d’écrire un programme de gouverneme­nt qui lui sera soumis avant d’être présenté au parlement pour obtenir un vote de confiance. Sergio Mattarella considère le «contrat entre la Ligue et le M5S rien de plus qu’un accord privé entre deux parties», écrit le quotidien La Repubblica.

La plus haute charge politique assure le respect de la volonté populaire, à savoir la victoire du M5S et de la Ligue qui ont recueilli ensemble près d’un vote sur deux et rassemblen­t plus de la moitié des parlementa­ires. Mais elle veille aussi à ce que les usages institutio­nnels soient respectés. Luigi Di Maio et Matteo Salvini insistent pour que le premier ministre et le gouverneme­nt découlent de leur programme commun. Ce faisant, ils «renversent l’ordre», prévient Il Corriere della Sera, et risquent de «vider les prérogativ­es les plus incisives du président de la République». ■

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(ALESSANDRO BIANCHI/REUTERS) Sergio Mattarella au palais du Quirinal: beaucoup plus qu’un notaire.

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