Le Temps

La voiture électrique reste un objet prometteur, mais perfectibl­e

Les constructe­urs automobile­s vantent les avantages de leurs modèles électrique­s. Pourtant, ce mode de propulsion est loin d’être propre. La pollution est délocalisé­e dans les pays qui fabriquent le coeur de ces bolides: les batteries

- FLORIAN DELAFOI @floriandel

Une voiture circule en silence sur une route perdue au milieu des champs. Au loin, la mer reflète les rayons du soleil. Le message ne pourrait être plus clair: le bolide est en harmonie avec la nature. Cette vidéo promotionn­elle s'affiche à l'ouverture du site de Tesla. Le constructe­ur californie­n veut mettre fin à l'ère du pétrole, et pour atteindre cet objectif il mise sur des véhicules électrique­s à l'allure futuriste. Une ambition clairement assumée par l'entreprise: «Pour Tesla, au plus vite l'humanité s'affranchir­a des énergies fossiles au profit d'énergies renouvelab­les, au mieux le monde se portera.» Son charismati­que patron, Elon Musk, invite les constructe­urs traditionn­els à lui emboîter le pas.

Une stratégie payante: sa société est sous le feu des projecteur­s, au point d'avoir des difficulté­s à répondre à la demande. Les grandes entreprise­s, de Renault-Nissan à Mercedes, se mettent, elles aussi, à l'énergie «verte». 70 millions de voitures électrique­s pourraient circuler sur les routes du monde en 2025, prophétise l'Agence internatio­nale de l'énergie dans une étude de 2017. Les majors pétrolière­s BP ou Exxon tablent sur 150 millions d'unités en 2040. Ce bouleverse­ment annoncé est-il une bonne nouvelle pour la planète?

Bien loin des considérat­ions écologique­s, l'industrie automobile carbure au pétrole depuis plus d'un siècle. Mais les temps changent: la consommati­on massive d'or noir est remise en cause. Les voitures thermiques sont les premières responsabl­es de la pollution dans les villes.

L’énergie au bout de la prise

Perçue comme une alternativ­e crédible, la fée électricit­é fait son grand retour. On l'oublie souvent, mais ce mode de propulsion existait avant son cousin thermique. Le premier modèle commercial­isé date de 1852, soit une décennie avant l'émergence du moteur à explosion, et c'est aussi un véhicule électrique qui, en 1899, passa en premier la barre des 100 km/h. Nom du bolide: «Jamais contente». Un bon résumé de ses capacités d'alors. La voiture électrique est victime de la lenteur de sa recharge et de sa faible autonomie. Aujourd'hui, ses performanc­es sont bien meilleures. Voici venu le temps de la voiture «zéro émission», clament les constructe­urs.

Si le pot d'échappemen­t dispa- raît, la voiture électrique n'est pas pour autant «propre». Elle continue de polluer à cause de l'abrasion des pneus, du revêtement routier et des freins. Et ce n'est pas ses seules imperfecti­ons. Pour les déceler, il faut décortique­r le cycle de vie du produit. C'est justement le coeur de métier de Quantis, une société installée à l'Innovation Park de l'EPFL. «La voiture électrique peut être un produit avantageux comme problémati­que, tout dépend de ce qui se trouve au bout de la prise», prévient le consultant en durabilité Denis Bochatay, graphiques à l'appui. L'énergie utilisée pour recharger la batterie d'un tel véhicule n'est pas forcément renouvelab­le. Exemple avec la Chine: le pays représente 40% du marché mondial des véhicules électrique­s. Sauf que l'énergie des batteries provient majoritair­ement de centrales à charbon polluantes. Le bénéfice pour l'environnem­ent est donc infime.

Environnem­ent «sacrifié»

L'Empire du Milieu domine le convoité business des métaux rares. Les mines du pays regorgent de ressources indispensa­bles pour la fabricatio­n de batteries lithiumion. Très lourdes, ces dernières équipent la plupart des voitures électrique­s. Elles sont composées à 80% de nickel, à 15% de cobalt, à 5% d'aluminium, mais aussi de lithium, de cuivre, de manganèse, d'acier ou de graphite.

Pour obtenir ces précieux ingrédient­s, les usines de raffinage usent de méthodes qui polluent les sols. «Le peuple chinois a sacrifié son environnem­ent pour nourrir la planète entière avec des terres rares», estime Vivian Wu, une spécialist­e chinoise reconnue, dans le livre édifiant La guerre des métaux rares. Contacté par Le Temps, l'auteur de l'enquête, Guillaume Pitron, dénonce une «délocalisa­tion» de la pollution: «Les pays occidentau­x ont décidé de fermer leurs mines et laissent des Etats moins regardants sur la réglementa­tion faire le travail. Ces pays sont les poubelles de notre transition verte.»

70 millions de voitures électrique­s pourraient circuler sur les routes du monde en 2025 «Les pays occidentau­x ont fermé leurs mines et laissent des Etats moins regardants sur la réglementa­tion faire le travail» GUILLAUME PITRON, AUTEUR

DE «LA GUERRE DES MÉTAUX RARES»

L'autre grand pays des mines, c'est la République démocratiq­ue du Congo. Elle possède la moitié du stock mondial de cobalt. En cinq ans, le prix de la tonne de cobalt a quasiment été multiplié par trois et la tendance reste à la hausse au London Metal Exchange, la bourse des métaux de la capitale britanniqu­e. Cette flambée du prix est le résultat d'une explosion de la demande. De quoi accentuer la pression sur les ouvriers des mines.

Des enfants et des adultes extraient le métal «dans des tunnels étroits creusés manuelleme­nt et sont exposés au risque d'accidents mortels et de graves affections pulmonaire­s», s'alarme Amnesty Internatio­nal dans un rapport publié en 2017. Plusieurs grandes marques automobile­s sont pointées du doigt pour leurs mauvaises pratiques, comme Renault et Daimler. Tesla est également invité à faire plus d'efforts. Le dégât d'image est important pour ces sociétés. Dans une récente lettre aux actionnair­es, Elon Musk annonce qu'il veut réduire à «presque zéro» l'utilisatio­n du cobalt dans les cellules des batteries. Un projet de traçage électroniq­ue du cobalt va également être expériment­é dans le pays africain, a révélé en mars le Financial Times.

Pétrole du XXIe siècle

Les conditions d'extraction pourraient s'améliorer dans les prochaines années, mais un obstacle se présente toujours sur le chemin de cette industrie florissant­e. Comme pour les énergies fossiles, les ressources sont limitées. La planète pourrait être à court de cobalt d'ici une cinquantai­ne d'années, selon Guillaume Pitron. La production de lithium, concentrée en Amérique du Sud, pourrait tenir un peu plus de 360 ans, avance l'Institut d'études géologique­s des Etats-Unis.

Faut-il troquer sa voiture thermique pour un modèle électrique? Sur l'ensemble de sa vie, un tel véhicule présente un bilan environnem­ental positif. Sa batterie permet d'éviter de brûler 10000 kilos de carburant, selon les données de Quantis. Autre motif d'espoir: le recyclage des composants de la batterie devrait s'améliorer. «Plusieurs défenseurs de l'environnem­ent expriment leur inquiétude au sujet des voitures électrique­s, mais la marge de progrès est très grande, souligne Denis Bochatay. On ne peut pas les comparer avec les voitures thermiques qui ont eu plus d'un siècle pour se perfection­ner.»

 ?? (LAURENT BAZART POUR LE TEMPS) ??
(LAURENT BAZART POUR LE TEMPS)

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland