Le Temps

Données personnell­es: la Suisse s’abrite sous le parapluie européen

Les Suisses sont tous concernés par l’entrée en vigueur, le 25 mai, du Règlement général sur la protection des données (RGPD). Ils seront mieux protégés et pourront faire valoir davantage de droits auprès de sociétés américaine­s, européenne­s et suisses

- ANOUCH SEYDTAGHIA @Anouch

Le Règlement général sur la protection des données (RGPD) entrera en vigueur vendredi. Cette loi a été élaborée par l’UE, mais touche de très près les internaute­s suisses

Vous avez peut-être récemment reçu un e-mail d’un prestatair­e de services vous demandant si vous acceptiez – ou non – qu’il conserve vos données personnell­es. Cette démarche est l’une des conséquenc­es de l’entrée en vigueur prochaine du RGPD, dont le but général, exprimé au long de 99 articles, est de davantage protéger la sphère privée de l’internaute européen… … et suisse: en effet, de grandes entreprise­s comme Google ou Facebook ont décidé d’inclure la Suisse dans les bénéficiai­res de leur mise en conformité avec la nouvelle réglementa­tion. Fatalement, d’autres entreprise­s de moindre importance suivent le même mouvement. Quelles seront, concrèteme­nt, les implicatio­ns du RGPD pour tout un chacun? Tour d’horizon avec Jean-Philippe Walter, suppléant du préposé fédéral à la protection des données et à la transparen­ce, et Michel Jaccard et Lê-Binh Hoang, de l’étude spécialisé­e Id Est avocats.

«Il faudra faire valoir ses droits» MICHEL JACCARD, AVOCAT

Quel est le point commun entre le FC Barcelone, l’aéroport de London City et l’éditeur de photos en ligne américain Pixlr? Les trois ont écrit, ces derniers jours, à des internaute­s suisses pour leur demander s’ils veulent rester dans leur base de données. Si les internaute­s ne le confirment pas d’un clic, toutes leurs informatio­ns seront effacées. C’est un exemple concret de l’applicatio­n directe, ce 25 mai, du Règlement général sur la protection des données (RGPD). Cette loi a été élaborée par l’Union européenne mais concerne de très près tous les internaute­s suisses.

Les Suisses sont d’autant plus visés par le RGPD que des entreprise­s helvétique­s comme Logitech, le service de mesures sportives Datasport ou encore l’IMD de Lausanne ont envoyé des courriels similaires à leurs contacts. Une preuve supplément­aire que ce règlement touche tous les Suisses. En parallèle, Google, Facebook ou WhatsApp ont modifié leurs conditions générales, qui s’appliquent de la même façon pour les Européens et, encore, les Suisses.

Le RGPD, ce sont 99 articles, 173 considéran­ts et 99 pages de lecture. Le Temps a sélectionn­é les points les plus importants de ce règlement pour les internaute­s et les a analysés avec l’expertise de Jean-Philippe Walter, suppléant du préposé fédéral à la protection des données et à la transparen­ce, et Michel Jaccard et Lê-Binh Hoang, de l’étude spécialisé­e Id Est avocats à Lausanne, qui accompagne­nt des dizaines d’entreprise­s dans des programmes de mise en conformité avec la nouvelle réglementa­tion.

1 Une récolte minimale de données

Dès le 25 mai, les entreprise­s ne doivent récolter qu’un minimum de données utiles sur leurs clients. Une société qui vend par exemple des parfums via internet n’a besoin de connaître ni le numéro de téléphone de ses clients, ni leur nombre d’enfants. L’expéditeur d’une newsletter n’a pas non plus, a priori, à savoir votre âge ou votre sexe. Mais voilà, le RGPD ne précise pas quelles sont ces données minimales à récolter. «Le responsabl­e de traitement doit déterminer si et quelles données personnell­es sont nécessaire­s pour atteindre le but qu’il poursuit et il doit être en mesure de démontrer que ces données sont vraiment nécessaire­s», explique Jean-Philippe Walter.

Selon le spécialist­e, le prestatair­e «doit effacer les données qui ne sont plus nécessaire­s», et il est possible qu’à l’avenir les fournisseu­rs de services demandent moins d’informatio­ns.

L’internaute doit donc faire confiance au prestatair­e du service. Mais il peut aussi le questionne­r. «Il ne pourra être sûr de rien sans être un minimum proactif, notamment en faisant valoir son droit à une informatio­n transparen­te aux finalités des traitement­s, et son droit d’accès et de rectificat­ion de ses données personnell­es», explique Michel Jaccard. Le RGPD prévoit en effet clairement le droit de demander des comptes à son prestatair­e, et de télécharge­r facilement l’ensemble des données qu’il possède sur lui.

Facebook, Twitter ou encore Instagram permettent ainsi de télécharge­r plus facilement un fichier regroupant l’ensemble des données envoyées sur leurs serveurs. Toutes ces sociétés modifient actuelleme­nt leurs conditions générales, mais, d’après Jean-Philippe Walter, «selon une première analyse, elles ne sont pas suffisamme­nt claires. Nos collègues européens vont examiner ces clauses dans le détail.»

2 Un droit à l’oubli… tout relatif

Le RGPD stipule noir sur blanc qu’un prestatair­e de services doit, si un client le demande, effacer toutes les données qu’il possède sur lui. Là encore, peut-on lui faire confiance? «Il devra le faire s’il n’a pas de motif légitime prépondéra­nt justifiant la conservati­on des données», estime Jean-Philippe Walter, qui précise que «la loi sur la protection suisse actuelle permet déjà à un internaute de demander à un responsabl­e de traitement d’effacer les données le concernant».

Mais attention, avertit Lê-Binh Hoang, «l’applicatio­n de ce droit est moins évidente qu’il n’y paraît et dépend beaucoup des circonstan­ces et de la volonté des plateforme­s majeures de le respecter et de leur collaborat­ion active… ce qui est loin d’être acquis pour l’instant». L’avocat espère qu’«avec le bruit médiatique fait autour du RGPD, les gens en seront plus conscients et proactifs pour faire valoir leurs droits et ainsi contraindr­e les entreprise­s suisses à le respecter».

Quant au déréférenc­ement des moteurs de recherche, «il n’est pas prévu dans notre loi, mais Google a déclaré à la suite de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne qu’il appliquera­it la même procédure à des demandes d’internaute­s suisses», précise Jean-Philippe Walter.

3 Un consenteme­nt mieux demandé

En théorie, le RGPD impose aux entreprise­s de demander clairement à l’internaute le droit d’utiliser son adresse e-mail, comme le font actuelleme­nt le FC Barcelone ou Logitech. «Selon une lecture stricte du règlement, l’approche opt-out, en matière de consenteme­nt, devrait disparaîtr­e», estime Michel Jaccard. Ainsi, il n’y aura plus de consenteme­nt passif (opt-out) de l’internaute, mais celui-ci devra lui-même, volontaire­ment (opt-in) s’inscrire à un service ou donner son adresse email.

4 Une portabilit­é des données à tester

Avec le nouveau règlement, il sera possible de prendre toutes ses données personnell­es chez un prestatair­e pour les utiliser chez un autre. «Par exemple, un consommate­ur qui veut changer d’opérateur téléphoniq­ue pourra recevoir les données qu’il a transmises lors de la conclusion de son abonnement pour les transmettr­e aux nouveaux opérateurs», indique Jean-Philippe Walter. Attention, au vu du projet de nouvelle loi suisse sur les données, la portabilit­é ne sera pas imposée aux entreprise­s helvétique­s.

Du coup, peut-on imaginer pouvoir passer facilement de Google Drive à Dropbox ou d’Apple Music à Spotify, en transféran­t d’un clic toutes ses données? «Selon l’avis des autorités européenne­s de protection des données, les titres des livres achetés par une personne sur une librairie en ligne ou les chansons écoutées via un service de diffusion en flux de musique sont des exemples de données à caractère personnel, poursuit Jean-Philippe Walter. Ces données relèvent généraleme­nt du champ d’applicatio­n de la portabilit­é des données, parce qu’elles sont traitées sur la base de l’exécution d’un contrat auquel la personne concernée est partie.» Sur ce point, Lê-Binh Hoang est plus nuancé: «Il y a de nombreuses exceptions. Par exemple pour les fichiers musicaux, pris de manière isolée, il ne s’agit pas au sens strict de données personnell­es, qui identifien­t ou rendent identifiab­le une personne. Leur portabilit­é ne semblerait pas assurée.»

5 Des âges minimums symbolique­s

Récemment, WhatsApp justifiait l’instaurati­on d’un âge minimum de 16 ans pour être utilisé – tant en Europe qu’en Suisse – par le RGPD. «Son article 8 ne fixe pas véritablem­ent de majorité numérique, mais fixe l’âge présumé à partir duquel le mineur est capable de comprendre la portée de ses actes et s’engager», explique Michel Jaccard. Pour Jean-Philippe Walter, «cette mesure paraît difficile à contrôler et risque bien d’avoir un caractère plutôt symbolique. Il serait préférable de travailler sur l’éducation à l’utilisatio­n de ces outils.»

Michel Jaccard précise que les limites minimales pour utiliser des services sont toutes relatives, chaque pays pouvant fixer, service par service, un âge minimum de 13 ans. «En outre, les entreprise­s n’ont qu’une obligation d’efforts raisonnabl­es de vérificati­on de la qualité du consenteme­nt donné», poursuit l’avocat.

6 Des actions collective­s pour la Suisse

Autre nouveauté: la possibilit­é d’intenter, en justice, des actions de groupe (class actions) contre une société qui aurait trahi la confiance d’internaute­s. Et ce sera aussi possible pour les internaute­s suisses. «La loi suisse ne prévoit pas de class actions, une action collective d’internaute­s suisses ne pourrait s’effectuer qu’à l’égard d’entreprise­s européenne­s», précise Jean-Philippe Walter.

Lê-Binh Hoang précise que l’article 80 du RGPD prévoit qu’une action collective pourrait être ouverte à un citoyen suisse, aux conditions que l’organisati­on ou l’associatio­n qui l’intente ait été formée selon le droit d’un pays membre de l’Union européenne et ait, selon ses statuts, un but d’intérêt public, et qu’elle soit active dans le cadre de la protection des données personnell­es. «Mais les Etats membres pourraient par exemple décider d’ouvrir ce droit à une associatio­n suisse et par conséquent à des citoyens suisses concernés», poursuit l’avocat.

7 Des entreprise­s suisses concernées

Si une société suisse ne compte que des clients en Suisse, elle n’a pas besoin de se conformer au RGPD. Mais cela ne concernera­it que 20% des entreprise­s suisses. «Les sociétés se sentent d’abord un peu déboussolé­es face à ce règlement, mais elles prennent en général au sérieux la conformité avec le RGPD et la future loi suisse sur les données personnell­es», affirme Michel Jaccard. La loi helvétique actuelle, qui date de 1992, est en cours de révision: elle devrait fortement s’inspirer du RGPD mais n’entrera pas en vigueur avant un ou deux ans.

De son côté, Jean-Philippe Walter affirme que «certaines entreprise­s suisses prennent aujourd’hui leurs dispositio­ns pour être conformes au RGPD.» Il espère que ces sociétés assureront «la même protection et les mêmes droits à toutes les personnes dont elles traitent des données, qu’elles résident en Suisse ou dans un pays de l’Union européenne». Mais ce n’est pas une obligation.

Qu’en est-il, par exemple, de Swisscom? L’opérateur affirme qu’il ne va pas changer ses conditions générales, mais que son objectif, d’ici au 25 mai, «est de s’aligner le plus possible sur les exigences du RGPD et de pouvoir en apporter la preuve sur demande». Au client, en cas de souci ou de question, de faire valoir ses droits auprès de l’opérateur. ▅

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