Un poilu de 14-18 se raconte sur le Net
Depuis 2014, des étudiants toulousains nourrissent les comptes Twitter et Facebook de Frédéric B., soldat lyonnais engagé dans la Grande Guerre, avec des extraits de ses archives personnelles
Un pseudo, une photo de profil, quelques milliers d’abonnés: sur Twitter, @FredericB_1418 n’est a priori qu’un usager parmi d’autres. En réalité, ce jeune soldat lyonnais a depuis longtemps quitté ce monde, mort après avoir combattu dans le 99e régiment d’infanterie de l’armée française durant la Première Guerre mondiale. Depuis 2014, des lycéens toulousains lui redonnent vie en publiant jour après jour, des extraits de son «journal de guerre» sur Twitter, Facebook et via un blog dédié. Un projet pédagogique bluffant, lancé pour le centenaire de la Grande Guerre et qui touche aujourd’hui à sa fin.
A la base de toute étude historique se trouve une source: dans le cas de Frédéric B., il s’agit de ses «carnets de guerre», des notes consignées à la main puis dactylographiées lors des rares permissions. Autant de sources précieuses qui racontent le quotidien des militaires français dans les tranchées. Pour les élèves du lycée Clémence-Royer de Fonsorbes, dans la Haute-Garonne, la découverte de ces archives d’exception donnera lieu à un pari un peu fou lancé par leur professeur Yann Bouvier: leur faire découvrir ce conflit à hauteur d’homme.
Un petit détour sur le profil du Frédéric B. suffit pour attester sa correspondance prolifique. Accompagnés de photos d’archive, ses tweets s’accumulent. Des bribes ramenées de l’enfer, des nouvelles de ces avancées qui s’enlisent, du froid, du découragement. Face à l’horreur, le besoin de raconter: quatre ans de vie depuis le front de Chuignes, au nord-est de Paris, les messes militaires, les fraternisations, les tranchées de la Somme, la bataille de Verdun où il sera blessé par des éclats d’obus, jusqu’à l’ultime bataille de la Lys (Kemmel).
Le 17 novembre 1914, tout juste mobilisé, Frédéric B. écrit: «Arrivée à Guillaucourt, point extrême que le chemin de fer peut atteindre. Débarquement après trente-six heures de voyage. Le canon tonne… Dix-huit kilomètres de marche pénible et nous arrivons au cantonnement, le village de Chuignes, à sept heures du soir.» Puis, le lendemain: «Nuit glaciale passée sur la paille dans une écurie au toit percé par les obus. Revue du Colonel. Préparation de la popote. J’ai visité le champ de la bataille qui s’est livrée sur la Commune.»
Les années passent et la lassitude s’installe. Frédéric B. écrit le 8 mai 1918: «Nous sommes toujours dans notre coin perdu: notre vie se passe en revues de toutes sortes. Le temps d’ailleurs est détestable et ne permet pas de sortir. Cela nous préserve de l’exercice.» «Il fait du brouillard. Un sale temps… de la boue… et les gars sont pleins de courage. Les mitrailleuses boches tirent, mais les assaillants partent et vont prendre position au contact de l’ennemi.»
Le 21 mai 1918, à l’issue de la bataille de la Lys, il donne un ultime signe de vie: «On vient encore de me jouer un tour de malpropre en me faisant rentrer à mon ancienne Compagnie, la 3e. J’en ai gros sur le coeur. Quand donc finira cette vie?» «Les Allemands, partout, avancent! Quant à nous, il y a quelques jours encore, nous sombrions dans le cauchemar du #Kemmel. Et nous voilà vivants, libres, contre toute attente! Quelle chance nous avons! Je vais donc m’en sortir?»
Au total, @FredericB aura produit plus de 1700 tweets et tenu en haleine des milliers d’internautes désireux de découvrir jour après jour ses multiples péripéties. «Beau projet autour de la #1GM, c’est un exemple à suivre. Merci aux élèves de 1re et à leur professeur d’histoire-géographie Yann Bouvier, de nous avoir fait partager la vie du poilu @FredericB_1418. Cela aura été un plaisir de vous suivre», salue @helurli. Le clap de fin est prévu dans quelques semaines, bien avant l’armistice signé le 11 novembre 1918. De quoi laisser planer le suspens sur le sort du poilu le plus célèbre de Twitter. ▅