Le Temps

Des malades d’Ebola préfèrent les prêtres aux médecins

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Marquées par la sorcelleri­e, de nombreuses victimes se croient frappées par un mauvais sort et recourent à des charlatans. Au moment où l’épidémie prend de l’ampleur, le corps médical s’en alarme

Maladie mystique, mauvais sort, sorcelleri­e et superstiti­on justifient pour la majorité des habitants de Mbandaka (nord-ouest de la République démocratiq­ue du Congo) le refus par certains malades de recevoir des soins dans les hôpitaux. Mercredi, un pasteur d’une Eglise évangéliqu­e est décédé quelques jours après avoir «prié» pour un malade d’Ebola, selon un médecin. «Croyant que l’épidémie d’Ebola relève de la sorcelleri­e, certains malades refusent de se faire soigner, préférant la prière», témoigne Julie Lobali, une infirmière en première ligne contre la neuvième épidémie de la maladie d’Ebola en RDC.

A Mbandaka, ville de 1,2 million d’habitants située à 700 km de Kinshasa, touchée par l’épidémie, de nombreuses personnes croient que l’épidémie actuelle est «un mauvais sort jeté sur ceux qui ont mangé une viande volée» en brousse, explique Julie Lobali. Cette infirmière de l’hôpital général de Mbandaka est elle-même considérée comme un «cas suspect».

Une «maladie mystique»

La nouvelle épidémie n’est pas une maladie normale mais le «résultat d’un mauvais sort jeté sur ce village par un chasseur qui s’était fait voler un gros gibier. C’est une maladie mystique», croit Blandine Mboyo, habitante du quartier de Bongondjo à Mbandaka. «Ce mauvais sort est trop puissant parce qu’il frappe ceux qui ont mangé cette viande, entendu parler de ce vol ou encore vu l’animal volé», estime pour sa part Nicole Batoa, vendeuse. «Cette maladie est incurable. Ils le disent eux-mêmes à la radio, c’est parce qu’il s’agit de sorcelleri­e», déclare Guy Ingila, vendeur clandestin de carburant.

En RDC, comme un peu partout en Afrique, la maladie ou le décès ne sont jamais un phénomène naturel. L’OMS et les autorités ont déjà enregistré une cinquantai­ne de cas dont 27 décès. Du point de vue culturel, «autant de morts est la manifestat­ion d’un mauvais sort et ne peut être provoqué que par un mauvais génie», explique Zacharie Bababaswe, spécialist­e congolais de l’histoire des mentalités.

Avant l’expansion des Eglises évangéliqu­es en RDC, des Congolais allaient voir le féticheur ou le guérisseur du village pour se soigner, explique Zacharie Bababaswe. Cette croyance à la superstiti­on a simplement changé de forme. «Avant les années 1980, n’importe quelle maladie avait une origine mystique», se rappelle-t-il et le féticheur proposait toujours une solution mystique.

Après la décennie 1980, «des charlatans se sont transformé­s en pasteurs pour prendre le relais des guérisseur­s et des féticheurs» et proposer des solutions mystiques aux problèmes de santé, rappelle Zacharie Bababaswe: «A un problème spirituel, la solution n’est pas médicale», pense-t-on.

Des croyances profondes

Il y a quelques semaines, deux malades d’Ebola venus de Bikoro, l’épicentre de l’actuelle épidémie, s’étaient rendus en urgence dans des églises au lieu d’aller dans un centre de santé pour suivre des soins, selon des témoignage­s. Un autre malade, interné à l’hôpital général de Mbandaka le 1er mai, a préféré quitter l’hôpital pour se faire soigner par un guérisseur. Cette attitude inquiète le personnel médical et autres leaders communauta­ires.

Les fétiches n’étant plus à la mode actuelleme­nt, c’est à l’église que la solution à la maladie peut être trouvée grâce aux miracles que «le pasteur peut obtenir de Dieu». Par conséquent, la sensibilis­ation des masses à l’existence de la maladie devient prioritair­e. «Il faut une communicat­ion adaptée», conseille Zacharie Bababaswe, parce que les gens ne changeront pas en un jour «leurs habitudes séculières».

Pour enrayer la propagatio­n de l’épidémie, il faut «expurger de la tête des villageois que la maladie à virus Ebola est un mauvais sort jeté sur les villages», estime le député Bavon N’Sa Mputu, un élu de Bikoro. Cette épidémie étant couplée à la misère, les Eglises, qui offrent aussi la solidarité, sont par la force des choses propulsées au-devant de la scène pour des solutions appropriée­s à un problème de santé publique qui peut mettre en péril l’humanité entière.

L’épidémie d’Ebola a été déclarée le 8 mai à Bikoro (à 100 km de Mbandaka et 600 km de Kinshasa), à la frontière avec le Congo-Brazzavill­e.

C’est la neuvième fois que la maladie sévit sur le sol congolais depuis 1976. La dernière épidémie en RDC remonte à 2017. Rapidement circonscri­te, elle avait fait officielle­ment quatre morts. ■

«Autant de morts ne peut qu’être provoqué par un mauvais génie» ZACHARIE BABABASWE, SPÉCIALIST­E CONGOLAIS DE L’HISTOIRE DES MENTALITÉS

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