Le Temps

La réponse implicite de l’UNRWA à Ignazio Cassis

- STÉPHANE BUSSARD @BussardS

Directeur du programme santé de l’agence onusienne d’aide aux réfugiés palestinie­ns, Akihiro Seita a décrit mardi le travail de son organisati­on dans des domaines fondamenta­ux

L'UNRWA, l'agence onusienne d'aide aux réfugiés palestinie­ns, n'est-elle plus une partie de la solution au conflit israélo-palestinie­n, mais une partie du problème? Les propos du chef du Départemen­t fédéral des affaires étrangères (DFAE) Ignazio Cassis tenus voici quelques jours dans la presse alémanique ont surpris, voire choqué. Mais quelle est la réalité du terrain?

Des hôpitaux débordés

De retour de Gaza, Akihiro Seita, directeur du programme santé de l'UNRWA, est venu expliquer la pertinence de son organisati­on en marge de l'Assemblée mondiale de la santé au Palais des Nations à Genève. L'UNRWA, qui a commencé son travail le 1er mai 1950, était censée n'avoir un mandat que de trois mois. Elle s'occupe aujourd'hui non plus de 750000 réfugiés qui avaient fui au moment de la création de l'Etat d'Israël, mais de 5,3 millions de Palestinie­ns répartis entre la Syrie, le Liban, la Jordanie, la Cisjordani­e et Gaza.

«Bon nombre de réfugiés palestinie­ns n'ont pas accès à des services de santé. Notre soutien à cet égard, à travers nos 143 centres de santé, est extrêmemen­t important», martèle Akihiro Seita. Se référant aux récentes manifestat­ions dans la bande de Gaza contre le transfert de l'ambassade des Etats-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem, à l'issue desquelles une soixantain­e de Palestinie­ns sont morts sous les balles israélienn­es, l'UNRWA a joué un rôle important. «Selon les chiffres de l'OMS, il y a eu 12000 blessés. 7000 personnes ont dû se rendre à l'hôpital, dont 3500 pour des blessures par balle, explique Akihiro Seita. Tout cela a eu lieu en une semaine. L'impact sur le système de santé à Gaza a été considérab­le, beaucoup plus important que la guerre de 2014.» La plupart des hôpitaux de Gaza ont été totalement débordés par l'afflux de blessés. Le manque de spécialist­es de la chirurgie vasculaire et de médicament­s s'est fait fortement ressentir. C'est là que les centres de santé de l'agence onusienne sont intervenus pour assurer un suivi médical une fois que les patients ont quitté l'hôpital.

Avec la détériorat­ion des conditions de vie, l'UNRWA est de plus en plus confrontée à un autre problème: la santé mentale des Gazaouis. «Lors des intifadas, il y avait encore de l'espoir. Aujourd'hui, avec le blocus de Gaza maintenu par Israël depuis des années, cet espoir s'est évanoui», explique au Temps un expert de la région. Ce d'autant que le chômage s'élève à quelque 40% de la population active et à 70% chez les jeunes. Pour faire face au phénomène, l'UNRWA vient d'intégrer dans tous ses centres une unité santé mentale qui permet de traiter au niveau des soins primaires entre 50 et 60% des cas de dépression.

En termes d'aide, l'UNRWA est aussi un garant contre la faim, octroyant un soutien alimentair­e à un million de Gazaouis. Dans son rapport 2017, le départemen­t santé de l'UNRWA avertit: en raison des coupes budgétaire­s envisagées par certains Etats, «la vie de réfugiés palestinie­ns pourrait être menacée. Cela concerne notamment 96000 grossesses,

«Aujourd’hui, avec le blocus de Gaza maintenu depuis des années, l’espoir s’est évanoui»

UN EXPERT DE LA RÉGION

180000 vaccinatio­ns et 267000 patients souffrant de diabète et/ou d'hypertensi­on.» Grâce aux vaccins administré­s notamment par l'UNRWA, les maladies infectieus­es ont été très bien contenues. Les maladies non transmissi­bles (maladies cardio-vasculaire­s, diabète, cancer, etc.), en revanche, sont devenues la principale cause de mortalité parmi les réfugiés palestinie­ns, selon Akihiro Seita, et sont largement attribuées à l'impossibil­ité de mener une vie saine.

L'autre grand apport de l'UNRWA est l'éducation. Sur les 32000 employés de l'organisati­on, 22 000 sont des professeur­s qui enseignent à 525000 enfants dans les 700 écoles de l'organisati­on, dont 225000 à Gaza. Accusant un déficit de 246 millions de dollars en raison du gel de la contributi­on américaine de 300 millions, l'agence onusienne a pu lever à ce jour 200 millions. Mais elle ne se voile pas la face: si on coupe le budget de moitié, la moitié moins d'élèves palestinie­ns pourront suivre un cursus scolaire.

Un «partenaire stratégiqu­e»

A ce stade, la Suisse continue, à travers le site du DFAE, à se considérer comme un «partenaire stratégiqu­e» de l'UNRWA. Elle s'est engagée à la financer jusqu'en 2020. En 2017, avec un apport de 27 millions de francs, elle est le huitième Etat le plus généreux et, proportion­nellement à sa taille, le principal bailleur de fonds de l'UNRWA. Un fait qui contraste avec les propos du conseiller fédéral Ignazio Cassis, qui ont poussé d'autres agences onusiennes à apporter leur soutien à l'UNRWA, craignant qu'une brèche dans le multilatér­alisme soit ouverte.

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