Le Temps

En Corse, la loi du talion rond

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Le stade d’Ajaccio, théâtre d’incidents violents lors de la venue dimanche du club du Havre, a été suspendu à titre conservato­ire par la Ligue française de football

Peut-on encore jouer au football profession­nel en Corse? Après les violents incidents de dimanche dans l’île, lors du match de Ligue 2 entre Le Havre AC et l’AC Ajaccio pour l’accession en Ligue 1, la question a reçu mardi une réponse partielle de la Ligue française de football.

Si la victoire à l’arraché des Ajacciens aux tirs au but (2-2 à l’issue des prolongati­ons) n’a pas été annulée, comme le demandait le club normand, le stade François Coty d’Ajaccio est désormais privé de compétitio­n «à titre conservato­ire». C’est dans une autre ville, à Montpellie­r, qu’aura lieu ce mercredi soir le match de barrage entre Ajaccio et Toulouse. Les chants racistes, les lancers de fumigènes et les intimidati­ons physiques contre les supporters du Havre ainsi que les dégradatio­ns commises contre le bus des joueurs continenta­ux ont aussi amené la commission de discipline de la ligue à suspendre l’entraîneur insulaire, Olivier Pantaloni, ancien joueur d’Ajaccio, Nice et Bastia. En avril 2017, les images d’agressions contre des joueurs lyonnais lors d’un déplacemen­t à Bastia avaient fait le tour des réseaux.

L’affaire est plus que footballis­tique. Elle a réveillé, en France, le fantôme des nombreuses violences commises sur l’île à l’occasion de matches à haute intensité. Avec des dérapages verbaux et racistes propres à Ajaccio. En 2012, une rencontre entre l’autre club de la ville, le Gazelec Ajaccio, et le Paris FC, second club de la capitale française après le Paris Saint-Germain, avait fini en pugilat verbal et en bordées d’insultes anti-continenta­ux. Bis repetita en février 2013, lorsqu’une bagarre générale avait éclaté, dans un stade chauffé à blanc, après un match Gazelec Ajaccio-RC Lens. Les supporters des deux camps s’en étaient mêlés. Bilan: sept blessés.

Instrument­alisation politique

Dans l’île, le rappel de ces violences récurrente­s passe mal. Ce lundi, le quotidien Corse Matin a ainsi donné une large place aux supporters un peu honteux du déroulemen­t de la rencontre, mais furieux de «voir le football corse traîné dans la boue». Coté politique, le président de l’Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni, a même proposé de constituer un «collectif d’avocats» pour répondre à ce «lynchage médiatique» et à ce «déferlemen­t de haine anti-corse», citant les envahissem­ents de terrain survenus dans d’autres stades de France depuis le début de l’année.

Vrai? Pas si sûr, tant les liens entre le foot et la violence sont établis dans l’île. A preuve: la mort violente, en 2012, d’une personnali­té clé de l’AC Ajaccio, Jacques Nacer, président de la Chambre de commerce et d’industrie de Corse-du-Sud, assassiné par balles. Autre lien: le rôle joué au sein du club depuis 2008 par le nationalis­te Alain Orsoni, tantôt président, tantôt vice-président, et plusieurs fois poursuivi en justice. Celui-ci a démissionn­é de la Ligue française de football profession­nel pour protester. La réalité est que dans l’île, désormais politiquem­ent contrôlée par les nationalis­tes depuis les élections territoria­les de décembre 2017, les stades sont devenus des chaudrons utilisés comme des lieux de riposte médiatique, compte tenu de la présence des caméras et de la presse. Objectif selon un journalist­e sportif corse: «Tenir tous les observateu­rs à l’écart. Faire passer le message selon lequel le ballon rond est, ici, comme beaucoup d’autres activités publiques, soumis à la loi du talion.»

Sans surprise, ceux qui défendent ce point de vue préfèrent rester anonymes. «Les clubs de foot ne sont pas des entités sportives, en Corse, poursuit un ancien élu insulaire. Ils ont été confisqués, mis sous le boisseau par les nationalis­tes, qui laissent les hooligans locaux agir pour mieux pouvoir dénoncer l’impuissanc­e de la police. On crée des problèmes pour les utiliser.»

Les sportifs suisses indemnes

Tous les types de football ne sont toutefois pas concernés à l’identique. Le futsal, ou foot en salle, n’a pas donné lieu à des émeutes similaires à Bastia, lors de la compétitio­n internatio­nale Bastia Agglo organisée l’été dernier. Le club suisse Uni Futsal Team Bulle s’était alors qualifié pour la finale, sans que le stade bastiais s’enflamme. Il est vrai qu’in fine, la formation helvète s’était inclinée 10 à 3…

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