Le Temps

Contre Trump jusqu’à la fin

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

L’influent sénateur républicai­n John McCain, qui lutte actuelleme­nt contre un cancer agressif, publie une nouvelle autobiogra­phie. Celui qui fut opposé à Barack Obama lors de la présidenti­elle de 2008 y règle ses comptes avec l’actuel locataire de la Maison-Blanche, Donald Trump.

Le sénateur républicai­n publie une nouvelle autobiogra­phie, alors qu’il lutte contre un cancer agressif. Il y règle ses comptes avec le locataire de la Maison-Blanche

Entre John McCain et Donald Trump, les hostilités ne sont pas près de retomber. Depuis son ranch de l’Arizona, le sénateur républicai­n, qui se bat contre une tumeur au cerveau, a fait savoir qu’il ne souhaitait pas que le président des Etats-Unis vienne à son enterremen­t.

Donald Trump a osé, pendant sa campagne électorale, remettre en question son statut de héros de guerre, en le qualifiant de «loser». Et tout récemment, un membre de son équipe de communicat­ion a été jusqu’à suggérer que le fait qu’il se soit érigé contre la nomination de la nouvelle patronne de la CIA n’avait «aucune importance», «puisqu’il est de toute façon en train de mourir». Ces propos ont déclenché une vive polémique.

Torturé au Vietnam

John McCain fait partie des plus grands détracteur­s républicai­ns de Donald Trump au Congrès, avec Lindsey Graham, Marco Rubio, Susan Collins ou encore Lisa Murkowski. Une voix qui compte. Il a notamment dénoncé avec verve les déclaratio­ns ambiguës du président sur la torture, dont la très controvers­ée pratique du «waterboard­ing», ou simulacre de noyade, réintrodui­te après les attentats du 11 septembre 2001. Il vient de contester la nomination de Gina Haspel à la tête de la CIA, en raison de son refus de reconnaîtr­e le caractère immoral de la torture, mais n’a pas pu se déplacer pour le vote.

John McCain sait de quoi il parle. Il a lui-même été victime de torture. Ancien pilote de la Navy, descendant d’une famille d’amiraux, il a échappé à deux reprises à la mort, lorsque son avion a été touché par des tirs de roquette. La deuxième fois, c’était à Hanoï, en octobre 1967, pendant la guerre du Vietnam. Il est parvenu à s’extirper de l’appareil en parachute, mais a atterri avec deux bras et une jambe cassés. Capturé par des soldats du Nord-Vietnam, il s’est fait transperce­r l’épaule et une cheville. En prison, il a subi de nouvelles tortures, allant jusqu’à penser au suicide. A sa libération, en 1973, il a été décoré par le président Nixon.

Le sénateur vient de publier, le 22 mai, son septième livre, The Restless Wave (traduisibl­e par «La vague agitée»). Trop faible pour en assurer la promotion, il en laisse le soin à son complice de longue date et coauteur Mark Salter. Mais l’élu âgé de 81 ans est heureux de pouvoir encore savourer les commentair­es que ses nouveaux Mémoires, qui couvrent les années 2008-2018, suscitent. Il y évoque notamment la campagne présidenti­elle de Donald Trump et l’affaire de l’ingérence russe, avec son franc-parler habituel.

«La fermeté apparente, ou la pseudo-apparence façon téléréalit­é, semble être plus importante à ses yeux que nos valeurs» JOHN MCCAIN

John McCain est né sur la base militaire américaine de Coco Solo, au Panama. Il siège au Congrès depuis 1983, comme sénateur depuis 1987. Il a été candidat malheureux à l’élection présidenti­elle de novembre 2008, qui s’est soldée par la victoire du démocrate Barack Obama. Au sein du Parti républicai­n, le politicien a toujours fait preuve d’un esprit indépendan­t, n’hésitant pas à prôner l’assainisse­ment du financemen­t des campagnes politiques ou la régularisa­tion d’immigrés clandestin­s. Plus récemment, il a voté contre l’abrogation de l’Obamacare, chère à Donald Trump, et tenait, malgré son traitement, à se déplacer au Sénat pour ne pas manquer ce vote crucial et pour contribuer à faire échouer le projet du président. Son cancer venait de lui être diagnostiq­ué une semaine plus tôt.

Dans son livre, John McCain révèle que Barack Obama l’a appelé après ce vote. Il souligne aussi le malaise qu’il a éprouvé après sa prestation confuse et chaotique lors de l’audition de James Comey, patron du FBI limogé par Trump, devant le Sénat, en juin 2017. Il ne se savait alors pas encore malade. Il l’a qualifié de «président Comey». «Quelque chose s’est passé entre la lecture de ma question et le moment où je l’ai posée. A ce jour, je ne sais pas encore quoi. Mais comme cela a été abondammen­t commenté à l’époque, j’étais incompréhe­nsible. C’était une audience très médiatisée, diffusée en direct sur les chaînes câblées […]. Ce fut l’une des expérience­s les plus mortifiant­es de ma carrière publique. Même maintenant, je grimace en y pensant», écrit-il.

Des extraits de son livre ont été divulgués par la radio NPR avant sa parution officielle. Il y dénonce notamment le «refus de Trump de distinguer les actions de notre Etat de celles de régimes despotique­s». «La fermeté apparente, ou la pseudo-apparence de fermeté façon téléréalit­é, semble être plus importante à ses yeux que nos valeurs», déplore-t-il. Il montre aussi du doigt sa manière de s’attaquer aux migrants et de discrédite­r les médias. «La flatterie garantit son amitié, la critique son inimitié», résume-t-il. Un documentai­re sort en même temps (il sera diffusé la semaine prochaine sur HBO). Il y confie regretter de ne pas avoir choisi l’indépendan­t Joe Lieberman comme colistier en 2008, à la place de Sarah Palin.

Un caractère frondeur

Charismati­que, John McCain a toujours osé se montrer iconoclast­e, en porte-à-faux avec son parti, quand il le juge nécessaire. Ce caractère frondeur de celui qui n’a peur de rien, il l’avait déjà quand il était élève à l’Académie navale d’Annapolis: ses amours tumultueus­es avec un mannequin brésilien et le recours à une strip-teaseuse ont fait parler de lui. Souvent qualifié de progressis­te, le sénateur reste néanmoins opposé au mariage homosexuel. Il est aussi contre le contrôle des armes à feu.

John McCain est père de sept enfants, dont une fille adoptée, originaire du Bangladesh. En février encore, sa fille Meghan confiait au magazine People: «J’espère qu’il reviendra vite à Washington pour tenir encore tête à Trump.» Le Texan s’accroche et continue de s’emporter à travers des communiqué­s. Mais Mark Salter l’a admis sur CBS: ce nouveau livre a bien des airs de dernier témoignage et a forcément été influencé par sa lutte contre la maladie. «Il tenait, avant de partir, à dire aux Américains à quel point ce pays compte pour lui, et ce qu’il pense que les Etats-Unis signifient pour le monde», précise le coauteur.

Il tenait surtout, une fois encore, à dire ce qu’il pense de Donald Trump. Et à en laisser une trace écrite.

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(ANDREW HARRER/BLOOMBERG VIA GETTY IMAGES) John McCain ne veut pas du président des Etats-Unis à son enterremen­t.

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