Pourquoi nous aimons retourner dans le futur
«Parfois, l’innovation implique de recouvrer ce qui a été perdu.» Dans son formidable livre Les innovateurs, Walter Isaacson explique que progresser peut signifier parfois retrouver des sensations du passé. C’est vrai pour la mode mais aussi pour la technologie. On le sait depuis le retour en force du disque vinyle: le neuf n’oblitère pas toujours le vieux et l’ancien peut parfois apporter une patine supplémentaire. Les médias le démontrent depuis plus d’un siècle. La presse écrite n’a pas disparu avec la radio, elle-même ne s’est pas effacée derrière la TV qui, elle, résiste toujours aux assauts d’internet.
La psychologie du consommateur, tout comme ses usages, ne correspond pas toujours à la marche du progrès. Grâce à un film, Les gardiens de la galaxie, les cassettes audio reviennent en force depuis quatre ans. Comment est-ce possible? Un son de mauvaise qualité, une fragilité qui ne résiste à aucune épreuve et des temps de lecture dépassés rendent ses défauts rédhibitoires pour la plupart des consommateurs. Pourtant, les ventes repartent à la hausse.
Cela peut paraître bien sûr aberrant pour une génération qui a connu ce vieux dispositif avant d’évoluer vers le CD, puis l’écoute de musique dématérialisée sur smartphone. Mais celui qui écoute des cassettes avec un walkman aujourd’hui n’a rien à voir avec son homologue des années 80. Là où le premier apprécie un côté vintage, le second ne voit que des défauts.
Comme on ne demande pas à un homme âgé de porter ses vêtements d’ado, il faut oublier, pour un représentant de la génération X, de comprendre ce qu’un Y peut trouver de «cool» à réécouter des 33 tours. Idem avec les appareils photos instantanés. Tout le monde a désormais dans sa poche un smartphone, bijou de technologie que les photographes d’il y a vingt ans n’auraient pas même osé imaginer. Pourtant, l’appareil qui permet de prendre un cliché et de l’imprimer immédiatement fait aujourd’hui des émules. A l’ère de Snapchat qui vous permet de vous rajouter des oreilles de lapin et de partager cela en direct avec des amis dans le monde entier, le pola revisité triomphe!
Quand Walter Isaacson parle dans son livre de cet étonnant paradoxe, il touche du doigt une évidence. Dans le cycle d’adoption des nouvelles technologies, quand une ancienne d’entre elles revient à la mode, c’est que la dernière-née ne parvient plus à resserrer les liens sociaux autour d’elle. Un risque qui plane constamment sur les acteurs actuels de la tech. Si leurs produits et services deviennent trop standardisés, nous finirons tous par réinstaller des téléphones filaires et retourner sur Second Life.
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