Le Temps

Pourquoi nous aimons retourner dans le futur

- STÉPHANE BENOIT-GODET RÉDACTEUR EN CHEF

«Parfois, l’innovation implique de recouvrer ce qui a été perdu.» Dans son formidable livre Les innovateur­s, Walter Isaacson explique que progresser peut signifier parfois retrouver des sensations du passé. C’est vrai pour la mode mais aussi pour la technologi­e. On le sait depuis le retour en force du disque vinyle: le neuf n’oblitère pas toujours le vieux et l’ancien peut parfois apporter une patine supplément­aire. Les médias le démontrent depuis plus d’un siècle. La presse écrite n’a pas disparu avec la radio, elle-même ne s’est pas effacée derrière la TV qui, elle, résiste toujours aux assauts d’internet.

La psychologi­e du consommate­ur, tout comme ses usages, ne correspond pas toujours à la marche du progrès. Grâce à un film, Les gardiens de la galaxie, les cassettes audio reviennent en force depuis quatre ans. Comment est-ce possible? Un son de mauvaise qualité, une fragilité qui ne résiste à aucune épreuve et des temps de lecture dépassés rendent ses défauts rédhibitoi­res pour la plupart des consommate­urs. Pourtant, les ventes repartent à la hausse.

Cela peut paraître bien sûr aberrant pour une génération qui a connu ce vieux dispositif avant d’évoluer vers le CD, puis l’écoute de musique dématérial­isée sur smartphone. Mais celui qui écoute des cassettes avec un walkman aujourd’hui n’a rien à voir avec son homologue des années 80. Là où le premier apprécie un côté vintage, le second ne voit que des défauts.

Comme on ne demande pas à un homme âgé de porter ses vêtements d’ado, il faut oublier, pour un représenta­nt de la génération X, de comprendre ce qu’un Y peut trouver de «cool» à réécouter des 33 tours. Idem avec les appareils photos instantané­s. Tout le monde a désormais dans sa poche un smartphone, bijou de technologi­e que les photograph­es d’il y a vingt ans n’auraient pas même osé imaginer. Pourtant, l’appareil qui permet de prendre un cliché et de l’imprimer immédiatem­ent fait aujourd’hui des émules. A l’ère de Snapchat qui vous permet de vous rajouter des oreilles de lapin et de partager cela en direct avec des amis dans le monde entier, le pola revisité triomphe!

Quand Walter Isaacson parle dans son livre de cet étonnant paradoxe, il touche du doigt une évidence. Dans le cycle d’adoption des nouvelles technologi­es, quand une ancienne d’entre elles revient à la mode, c’est que la dernière-née ne parvient plus à resserrer les liens sociaux autour d’elle. Un risque qui plane constammen­t sur les acteurs actuels de la tech. Si leurs produits et services deviennent trop standardis­és, nous finirons tous par réinstalle­r des téléphones filaires et retourner sur Second Life.

n

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland