Les vertus thérapeutiques du jeu de rôle Psycho
Les jeux de rôle rassemblent de nombreux passionnés à travers le monde et en Suisse romande. Le concept: interpréter un personnage dans un univers donné. Une façon d’apprendre à se connaître et de mieux appréhender notre société, selon certains joueurs
Costumes médiévaux et épées en plastique. Telle est l’image que l’on se fait souvent des «rôlistes», qui pratiquent le jeu grandeur nature, ou GN. Les participants interprètent un personnage pendant quelques heures ou même plusieurs jours avec, souvent, des objectifs à atteindre. Parfois dans un univers médiéval fantastique, comme c’est le cas dans «La bataille de Bicolline», un jeu de rôle canadien géant qui dure une semaine.
Mais le GN ne constitue pas seulement un univers médiéval fantastique. Les possibilités de jeu sont infinies, comme l’explique Yannick Trolliet, 27 ans, président de l’association de jeux de rôle genevoise SIDH. Il a imaginé un GN où les personnages vivent une nouvelle ère glaciaire. «Ils vont essayer d’expliquer ce qui se passe: quelqu’un est-il responsable du problème, peut-on lutter contre?» Un GN pour réfléchir au réchauffement climatique? Il nuance: «On est forcément inspiré par ce qu’on voit, mais ce scénario n’est pas à vocation éducative, l’idée va davantage dans le sens d’une évasion plus que d’une prise de conscience.»
Se mettre dans la peau de quelqu’un d’autre est surtout une expérience: «Les personnages sont faux mais les émotions sont vraies», s’amuse Damien Riedweg, 24 ans, membre de SIDH. «C’est un crash-test pour la vraie vie, incarner un personnage permet par exemple d’oser monter sur une table pour faire un discours ou de faire une déclaration d’amour.» Et ces actes aident à prendre confiance. «Comme rôliste, je peux être n’importe qui. Un entretien d’embauche, par exemple, ne me fait plus peur: je serais capable de le faire dans un jeu.»
Le jeu de rôle est aussi un moyen de corriger ses défauts, selon Bérénice Moynier, 23 ans, présidente d’Au Nom de la Rose, association de jeux de rôle basée à Genève. «En jouant un personnage, on prend du recul et on met le doigt sur certains comportements qu’on a dans la vie.»
Mais le jeu de rôle n’a pas toujours bonne réputation. «Dans notre société axée sur la performance, il est vu comme une forme de gaspillage», juge Vincenzo Susca, maître de conférences en sociologie à Montpellier et auteur d’un livre qui parle d’univers ludiques, Les affinités connectives (Ed. du Cerf). «On accepte le jeu lorsque c’est une parenthèse, mais on l’associe à l’enfance, période de la vie dont il faut s’affranchir.»
«Certains nous voient seulement comme des gens en costumes qui s’expriment avec un langage du Moyen Age et ils trouvent ça bizarre», regrette Quentin Mayor, 31 ans, secrétaire d’Au Nom de la Rose. «On fait simplement du théâtre dans un cadre et en improvisant.» Et le jeu de rôle se démocratise, avec une portée pédagogique affirmée. Au pays de Galles, les joueurs de The Quota se mettent dans la peau de réfugiés, tandis qu’au Danemark, une école se sert du jeu de rôle comme outil pédagogique.
Les GN tournés vers l’émotionnel, dit «nordiques», sont toujours plus nombreux. Parmi eux, Shadow Island, auquel a participé Bérénice Moynier. Les joueurs interprètent les membres d’une famille qui se réunit pour la première fois depuis quinze ans. «J’ai pleuré pendant ce GN, parce que ma soeur y était morte. On peut y voir un aspect thérapeutique. J’ai vraiment lâché quelque chose à ce moment-là.»
Le jeu de rôle peut bien servir la société, selon Vincenzo Susca. «Je pense qu’on l’utilisera de plus en plus. On a besoin de réinsuffler de l’imaginaire dans le quotidien. On oppose toujours réel et imaginaire, alors qu’ils se nourrissent l’un l’autre.» Pour Damien Riedweg, s’il faut se mettre au GN, c’est parce que «ce serait dommage de n’avoir qu’une seule vie».
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